Le concert de l’Hostel Dieu dévoile Les Fantômes d’Hamlet à Lyon
Dans l’enceinte de la Chapelle de La Trinité à Lyon, « une nouvelle scène de musiques baroques et irrégulières », Le Concert de l’Hostel Dieu a donné en première mondiale Les Fantômes d’Hamlet, un projet de création originale autour de la figure de Hamlet. Au centre de ce projet, la soprano italienne Roberta Mameli. Franck-Emmanuel Comte, directeur artistique de l’Ensemble et de La Trinité, a conçu sur mesure le programme pour et avec elle.
De nombreux compositeurs italiens du XVIIIe siècle — Domenico Scarlatti, Francesco Gasparini, Giuseppe Carcani, Carlo Francesco Pollarolo… — se sont emparés de la légende d’Hamlet pour composer des opéras intitulés Ambleto. En effet, au XVIIIe siècle, un même livret pouvait servir à plusieurs compositeurs pour écrire leurs opéras. Le livret est dû à un poète vénitien de la fin du XVIIe siècle, Apostolo Zeno. Si Shakespeare a popularisé l’histoire avec sa pièce de théâtre, ces compositeurs ne la connaissaient pas, précise Franck-Emmanuel Comte dans la mise en oreille organisée avant le concert. C’est le mythe du prince danois, raconté dans la Gesta Danorum (Geste des Danois) du moine médiéval Saxo Grammaticus, qui est ici exploré. Les œuvres musicales ont été écrites entre 1705 et 1741/1742.
La pratique du pasticcio permettait de faire circuler les airs à succès, d’où un certain nombre d’éditions de compilations et de florilèges réunis en un volume. Ces recueils comprenaient également des fragments d’Ambleto. Le musicologue Paolo Vittorio Montanari, qui a retrouvé le livret en question, s’est affairé dans diverses bibliothèques italiennes et européennes pour retrouver ces fragments — seulement des fragments, car tout le reste de ces opéras a été perdu ! Mais il y a une pépite : Gasparini a adapté, pour des représentations à Londres, un air d’Agrippina de Haendel à la demande du castrat Nicolini. Il s’agit de l’air « Tu indegno se dell’allor ».
Le programme du concert, ainsi que celui de l’album The Ghosts of Hamlet (sortie le 28 février), comprend d’autres inédits : « Stelle voi, che de’regnanti » de Gasparini, « Segui ad amar costante » de Carcani, « Nella mia sfortunata prigionia » de Domenico Scarlatti, tous issus d’opéras intitulés Ambleto, pasticcio ou non. D’autres pièces choisies sont des sinfonias et des airs où Roberta Mameli incarne trois rôles : le héros et deux personnages féminins, Veremonda (ou Ophélie) et Gerilda (ou Gertrude), la mère d’Hamlet.
Au sommet de son art, la cantatrice déploie un chant hautement expressif, entre aigus clairs et médium légèrement ombrageux. La manière dont sa voix, amplement projetée, remplit l’espace est en totale adéquation avec l’esthétique de l’ancienne chapelle jésuite, construite au début du XVIIe siècle et désacralisée il y a cent ans. Le pouvoir de son chant est particulièrement saisissant dans les aigus célestes merveilleusement placés de « Stelle voi, che de’regnanti », de surcroît en formidable duo avec le violoncelle (Ande Walker-Viry), ou dans ces longs souffles dans des phrasés idéalement portés de « Nella mia sfortunata prigionia ». Ses vocalises dans « D’ire armato il baccio forte » de Carlo Francesco Pollarolo impressionnent par leur justesse et témoignent des possibilités infinies de la voix humaine.
Pour les interprétations purement instrumentales, on note notamment le jeu de tempos étrangement flexible dans le « Presto » de la Sinfonia en ré mineur de Domenico Scarlatti, ainsi que la vivacité du « Tambourin », extrait d’Alcina de Haendel. En effet, le concert est agrémenté de ces extraits pour illustrer l’ambiance musicale de l’époque. La direction depuis le clavecin par Franck-Emmanuel Comte met en valeur chaque pièce dans la diversité des propos, à laquelle les musiciens répondent en parfaite harmonie.
Le concert est entrecoupé à trois reprises par les commentaires de la journaliste Pauline Lambert (Radio Classique). Certainement voulus par le chef afin de rendre le programme accessible, ces pauses interrompent cependant la continuité du concert, et l’on s’en lasse rapidement, la voix amplifiée par le micro créant un décalage fatal avec la musique. Une brève introduction aurait suffi, d’autant que le concert avait été précédé d’une mise en oreille.
Le programme fait l’objet d’une vaste tournée qui amènera Roberta Mameli et Le Concert de l’Hostel Dieu en Belgique, en Finlande et en Amérique du Nord jusqu’à la fin mars.
Concert du 18 février 2025, Chapelle de La Trinité à Lyon
Crédit photographique © William Sundfor
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