Le Filarmonica della Scala à la Philharmonie de Luxembourg
Ce lundi 6 février avait lieu le concert du Filarmonica della Scala à la Philharmonie de Luxembourg. Au programme, Cantus in Memoriam Benjamin Britten d’Arvo Pärt, le Concerto N°1 pour violon et orchestre en ré majeur de Sergueï Prokofiev et la Sixième Symphonie en si mineur, dite « Pathétique » de Piotr Ilitch Tchaïkovsky. La phalange milanaise est placée sous la direction de son chef d’orchestre principal Riccardo Chailly. Le soliste du soir est Emmanuel Tjeknavorian. Lauréat du Concours international Sibelius, le violoniste collabore régulièrement avec des personnalités majeures du monde musicale et de prestigieuses salles en tant que soliste et chef d’orchestre. Il joue un violon d’Antonio Stradivari « Crémone » de 1698, prêt d’un bienfaiteur de la Beare’s International Violin Society.
Comme indiqué dans le nom, la pièce Cantus in Memoriam Benjamin Britten d’Arvo Pärt rend hommage au compositeur britannique. L’œuvre est d’ailleurs composée dans les semaines suivant le décès de ce compositeur tant apprécié de Pärt. Cette pièce, datant de 1977, est écrite pour un orchestre à cordes ainsi qu’une cloche tubulaire accordée sur un la. Cette dernière commence seule dans un piano mystique avant d’être progressivement rejointe par les différents pupitres divisés des cordes. Les violons, premiers à rentrer après la cloche, sont utilisés dans un registre aigu. Puis au fur et à mesure, cela s’assombrit pour laisser place au registre grave des violoncelles et contrebasses. Un dernier coup de cloche résonnant longtemps dans la salle sonne le glas de cette brève œuvre au pouvoir hypnotique.
Le Concerto N°1 pour violon et orchestre en ré majeur op.19 de Sergueï Prokofiev est la deuxième pièce au programme de cette première partie du concert. Emmanuel Tjeknavorian est le soliste se mesurant à ce concerto qui demande une grande connaissance du violon et des diverses techniques à exploiter. Le début du premier mouvement, Andantino, fait la part belle aux altos tandis que le soliste rentre presque immédiatement en piste. Ce dernier est soutenu avec attention par ce même pupitre. La justesse dont il fait preuve dans le registre aigu est épatante. L’orchestre accompagne le violoniste sans prendre le dessus. Le deuxième mouvement, Scherzo : Vivacissimo, déborde d’énergie. Les interventions de l’orchestre sont claires et précises. Emmanuel Tjeknavorian s’illustre brillamment dans cette partie de l’œuvre particulièrement virtuose. Il joue avec les contrastes à l’instar de la partie avec des sonorités plus rauques qu’il produit en jouant sur le chevalet de son violon. Le troisième et dernier mouvement, Moderato - Andante, voit des bassons malicieux se démarquer avant l’arrivée du soliste. Ce dernier utilise une palette de nuances tellement grande que l’on pourrait presque le perdre quand il joue pianissimo. Mais en tendant l’oreille, il s'avère qu’il n’en n’est rien. La reprise du thème principal transmet de belles émotions et clôture en beauté ce concerto interprété avec brio par le jeune violoniste Emmanuel Tjeknavorian. Ce dernier est parfaitement accompagné par le Filarmonica della Scala guidé avec précision et musicalité par Riccardo Chailly.
Afin de remercier le public conquis par l’interprétation que viennent de livrer l’ensemble des artistes, le violoniste de 27 ans joue en bis le troisième mouvement, Gemächliche Viertel, tiré de la Sonate pour Violon solo, Op. 31, No. 2 de Paul Hindemith. Ce mouvement ne nécessitant pas d’archet, permet une exécution espiègle avec un jeu de pizzicatos énergiques.
Après la pause, place à la magistrale Sixième Symphonie en si mineur de Piotr Ilitch Tchaïkovsky, dite « Pathétique ». Le premier mouvement, Adagio-Allegro non troppo, débute avec un solo du basson qui expose le thème. L’ambiance est mystérieuse, presque lugubre. Ce premier thème est repris pour entamer l’Allegro dans un tourbillon prenant de plus en plus d’importance. Cela se calme doucement pour laisser place au second thème, majeur cette fois-ci. Cette mélodie, une des plus sentimentales de Tchaïkovsky, est interprétée avec délicatesse par les violons. Un long diminuendo s’ensuit avec un magnifique pianissimo de la clarinette avant qu’un choc soudain ne fasse trembler la salle : c’est un passage aux allures tragiques et dramatiques qui déchaine l’orchestre. Finalement, c’est le retour du second thème interprété avec sensibilité et musicalité. La fin du mouvement, d’une grande tranquillité, voit des pizzicatos des cordes joués en boucle agrémentés par de mélodieuses interventions de l’harmonie.
Le deuxième mouvement, Allegro con grazia, est une pause joyeuse dans cette symphonie d’une intensité dramatique. Rappelons que cette œuvre est créée neuf jours avant le décès du compositeur russe. Cette valse à cinq temps est d’une légèreté bienvenue. La mélodie est exposée avec souplesse et élégance par les violoncelles. Riccardo Chailly mène la phalange milanaise avec aisance et rend ce mouvement particulièrement intéressant au niveau du jeu des nuances. Le troisième mouvement, Allegro molto vivace, déborde d’une énergie judicieusement contrôlée par le chef italien. Les musiciens sont totalement engagés dans la prestation de cette marche solennellement jubilatoire à l’instar du pupitre des contrebasses prenant un réel plaisir dans cette partie animée de l’œuvre. Le dernier mouvement clôture cette symphonie par un Adagio lamentoso, comme si Tchaïkovsky savait que la fin était proche. Il tire en quelque sorte sa révérence et quelle révérence ! Ce quatrième mouvement est tout simplement poignant. Le thème énoncé par les violons est déchirant. Ce thème revient d’ailleurs régulièrement au cours de ce mouvement. Après un choral des cuivres rappelant celui du premier mouvement, les violoncelles et les contrebasses sont utilisés dans leur registre grave afin de terminer cette œuvre en ramenant le climat funèbre du début de l’œuvre.
Le concert du Filarmonica della Scala avec Emmanuel Tjeknavorian et Riccardo Chailly est une belle réussite. Le soliste assure sa partie avec virtuosité, le chef italien mène avec brio l’orchestre milanais. Chaque geste a un impact sur l’interprétation que livre l’orchestre, ce dernier étant assurément de haut niveau. Le public est plus que ravi et réserve de longs applaudissements aux protagonistes de cette belle soirée.
Luxembourg, la Philharmonie, le 6 février 2023
Thimothée Grandjean, Reporter de l’Imep