Le nouveau champion du Clavier bien tempéré au piano
Jean-Sébastien BACH (1685-1750) : Das wohltemperierte Klavier, intégrale. Cédric PESCIA (piano). 2017-DDD-56'32, 60'50, 69'03 et 76'53-Textes de présentation en anglais, français, japonais et allemand- 4CD La dolce volta LDV 38.1.
Le Clavier bien tempéré au piano ? Depuis les monuments érigés par Sviatoslav Richter et Glenn Gould, aussi antinomiques que possible mais indispensables l'un et l'autre, les mélomanes, dont un bon nombre ont découvert cette somme par leurs interprétations, savent que l'instrument-roi convient comme un gant à ce long voyage initiatique. Ils ne furent pas seuls, loin de là, à tenter l'aventure : tandis que Rosalind Tureck y mettait sa touche si reconnaissable en 1952 à New York, Samuil Feinberg, de l'autre côté du rideau de fer, en donnait en 1959 une vision princière, d'une élégance et d'un chic inouïs. Dès 1950, Gieseking avait proposé « son » Bach, très différent, qui frappe aujourd'hui encore par sa liberté d'expression. Ensuite, en ne s'arrêtant qu'aux plus remarquables de ceux qui choisiront le piano, il y aura Friedrich Gulda en 1972, que l'on vénère ou que l'on exècre mais qui interpelle à chaque nouvelle écoute, Andras Schiff, et Angela Hewitt qui revisitera le chef-d'oeuvre par deux fois, de 1997 à 1999 la première et en 2008 la deuxième. C'est pourtant au pionnier Edwin Fischer qui grava le premier les deux livres entre 1933 et 1936 que l'on songe avant tout en écoutant Cédric Pescia: même simplicité du jeu, même évidence, même regard presque étonné devant ces partitions auxquelles il conserve toute leur fraîcheur originelle. Fait remarquable, il parvient à conserver cette approche émerveillée dans les deux livres, pourtant très différents l'un de l'autre, le second étant infiniment plus complexe, élaboré et exigeant, tant pour l'interprète que pour l'auditeur, que le premier. Tout autant que l'illustre complice de Wilhelm Furtwängler dans des Beethoven et des Brahms restés légendaires, le jeu du Franco-Suisse est d'une infinie délicatesse, intériorisé, le ton est grave parfois mais toujours empreint d'humanité et de chaleur. Les tempos sont le plus souvent sans surprises même si, ça et là, il s'autorise des allures quelque peu différentes de celles auxquelles on a été habitué, telle celle qu'il impose au prélude BWV 850, très calme, presque lent. Surtout, Cédric Pescia n'oublie jamais que nombre de ces préludes sont proches du chant et de la danse, attitude qui lui permet de donner une vie et une spontanéité tout à fait remarquables à l'ensemble de l'ouvrage. On l'aura compris, cette lecture repose sur la respiration, la poésie plus que sur la construction contrapuntique et la science qui se cachent derrière ces pages. Pour cette raison, ceux qui ne jurent que par Glenn Gould ne s'attarderont pas. Ainsi que l'artiste l'écrit lui-même, Fischer, Gieseking, Feinberg et Richter l'ont indéniablement marqué et l'on ressent bien l'influence des grandes écoles européennes de piano de la première moitié du 20e siècle dans ce jeu qui respire large, reste sincère, vrai et pur à chaque note ; les considérations musicologiques s'effacent devant le coeur et l'esprit. Pour notre part, nous n'hésitons pas un instant à considérer ce splendide témoignage comme un jalon majeur de la discographie et à le placer aux côtés des grands anciens cités dans cet article.
Bernard Postiau
Son: 9 Livret: 10 Répertoire: 10 Interprétation: 10