Le Quatuor Chiaroscuro poursuit brillamment son aventure beethovenienne

Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Quatuors à cordes n° 10 en mi bémol majeur op. 24 « Les Harpes » et n° 13 en si bémol majeur op. 130. Quatuor Chiaroscuro. 2022. Notice en anglais, en allemand et en français. 71’ 26’’. BIS-2668.
Le très international Quatuor Chiaroscuro (Alina Ibragimova, originaire de Russie, et l’Espagnol Pablo Hernán Benedí aux violons, la Suédoise Emilie Hörnlund à l’alto et la Française Claire Thirion au violoncelle), qui joue sur cordes en boyau, est en train de se construire une discographie de premier plan. Après de magnifiques Haydn, Mozart, Mendelssohn et Schubert, il s’est plongé avec ardeur dans le massif beethovenien. Avec déjà deux absolues réussites pour le même label, à savoir les six numéros de l’opus 18 (nous avons commenté le 20 décembre 2021 l’album consacré aux trois premiers quatuors). Sur le chemin d’une potentielle intégrale qui risque de faire date, on découvre deux partitions dont l’intensité de l’interprétation et la cohésion stylistique laissent pantois.
Composé dans la foulée du Concerto n° 5 « L’Empereur » et contemporain de la Sonate n° 8 « Les Adieux », le Quatuor n° 10, donné pour la première fois en privé chez le Prince Lobkowitz en novembre 1809, est surnommé « Les Harpes » en raison de ses arpèges en pizzicato. Servie par une prise de son superlative qui met l’auditeur en phase directe avec les instruments dès un Poco Adagio profondément investi avant de le plonger dans l’univers, à la fois tendre et lumineux, de l’Allegro, l’œuvre atteint très vite une chaleureuse et vaste dimension hymnique. Le second mouvement, un Adagio ma non troppo, ouvre un espace lyrique fécond, au sein duquel des jeux fluides et subtils s’installent, avant un Presto qui propose un surgissement collectif, nerveux et incisif, dans une ambiance rythmique aérée et emballante. Les cordes en boyau font ici merveille pour installer l’Allegretto con variazioni qui s’ouvre sur un thème quelque peu syncopé avant de laisser chanter et s’ébrouer les mélodies et de leur permettre de s’épanouir jusqu’à la sérénité finale. Une version de toute beauté, sans cesse jaillissante, marquée par l’unité stylistique et une complicité enthousiaste.
Le même émerveillement collectif, expressif et contrasté, parcourt le Quatuor n° 13, joué sans la Grande Fugue. Créée à Vienne le 21 mars 1826, cette partition en six mouvements, dont il faut assurer la cohérence dans leur diversité, retrouve avec les Chiaroscuro les qualités de décantation et de transparence que nous avions relevées dans le disque consacré aux trois premiers quatuors du maître de Bonn. La prise de son, dont on savoure sans cesse la présence palpable, met bien en évidence les aspects fiévreux qui agitent le premier mouvement, la furtivité du Presto, le raffinement un peu ombrageux de l’Andante ou la rusticité de l’Alla danza tedesca. La Cavatine, qui touchait Beethoven jusqu’aux larmes, est distillée avec une expressivité émouvante et dramatique à la fois, qui crée chez l’auditeur une profonde sensation de partage avec l’âme du compositeur. On en vient presque à regretter que le quatuor ne s’achève pas par elle, tant le retour, dans l’Allegro final, à une atmosphère haydnienne, certes gracieuse et rayonnante, mais un peu en décalage après cette sublime Cavatine, peut troubler. Mais les Chiaroscuro savent lui conférer la part de fraîche virtuosité qui fait tout apprécier.
Voici une nouvelle pierre blanche dans la discographie de ce collectif si homogène et si talentueux. Faut-il préciser que l’on attend avec impatience la suite de son approche du massif beethovenien ?
Son : 10 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix
Chronique réalisée sur la base de l’édition SACD.