L’ensemble la Française complète notre connaissance du Musicien des Grâces
Jean-Joseph Mouret (1682-1738) : Motets I « Usquequo Domine », V « Cantate Domino », VIII « Laudate Nomen Domini », et X « Venite exultemus Domino », extrait ; Airs à danser, première suite ; Concert de chambre du Second Livre. Marie Remandet, soprano, Ensemble la Française, direction artistique Aude Lestienne. 2023. Notice en français et en anglais. 63’ 05’’. Musica Ficta MF8038.
Contemporain de Jean-Philippe Rameau, né dix-sept mois après lui, Jean-Joseph Mouret ne bénéficie pas d’une notoriété comparable, ni d‘une aussi large aura discographique, même si ses Amours de Ragonde, par Marc Minkowski et les Musiciens du Louvre (Erato, 1992), puis d’autres parutions sporadiques ont séduit les mélomanes. Né à Avignon où il a fait ses classes, Mouret est à Paris à l’aube de ses vingt-cinq ans. Engagé par le maréchal de Noailles, il est rapidement au service de la duchesse de Maine (1676-1753), petite-fille du Grand-Condé, pour une trentaine d’années, au domaine de Sceaux, qui, avec ses jardins dessinés par Le Nôtre, a été avant cela la propriété de Colbert, et où la duchesse donne de fastueuses fêtes. Mouret œuvre aussi comme directeur de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, puis du Nouveau Théâtre-Italien (pendant vingt ans), et, à partir de 1728, comme directeur artistique du Concert spirituel. Deux ans avant son décès, il est atteint de démence précoce et interné à Charenton, où il décédera. Ce « Musicien des Grâces » laisse un catalogue où voisinent œuvres lyriques et vocales, divertissements et musique de chambre.
Fondé en 2013 par des solistes issus du Conservatoire supérieur de musique de Lyon, l’Ensemble la Française est mené par la flûtiste et architecte Aude Lestienne, qui est passée par le Conservatoire de Bruxelles à la fin de la première décennie de notre siècle. Elle y a étudié avec Barthold Kuijken et Frank Theuns. L’intérêt de l’Ensemble pour des pages moins fréquentées s’est concrétisé dès 2018, avec un premier album paru chez Musica Ficta. Intitulé « Pour la duchesse de Maine », il proposait deux cantates de Nicolas Bernier et de Thomas-Louis Bourgeois et, déjà, un Concert de chambre du Premier Livre de Mouret. Deux ans plus tard, toujours pour Musica Ficta, des sonates en quatuor de Louis-Gabriel Guillemain (1705-1770), célèbre violoniste du XVIIIe siècle, paraissent. Aujourd’hui, Mouret se voit honoré par un programme qui propose deux aspects de son art, religieux et profane : quatre Motets, des Airs à danser, Première Suite, et un Concert de chambre du Second Livre.
L’Ensemble la Française, qui s’est déjà fait entendre en Belgique, notamment dans le cadre des Midis-Minimes, a choisi pour devise la maxime de Cicéron Docere, Delectare, Movere (Enseigner, Charmer, Émouvoir). Il la sert avec éloquence dans ce programme qui évite la monotonie d’une inspiration certes agréable, mais pas à la hauteur, par exemple, de son contemporain Rameau. Une alternance de parties chantées et instrumentales préserve finement l’intérêt au fil du parcours. Les quatre Motets choisis, qui ont été chantés en leur temps dans le cadre du Concert spirituel, au Château des Tuileries, sont servis par la voix délectable de la soprano Marie Remandet, timbre léger et noblement dramatique. Sur des textes de psaumes, le compositeur invoque le Seigneur et l’appelle à l’aider à vaincre l’ennemi (Usquequo Domino, psaume 12), se lance dans les louanges de la grandeur du Seigneur (Laudate Nomen Domini, psaume 134), souligne l’amour de Dieu pour son peuple qui exulte devant sa gloire (Cantate Domino, psaume 149), ou incite à l’adoration (Venite exultemus Domino, psaume 94). Avec un accompagnement à effectif réduit, sobre et attentif aux nuances du texte sacré, ces Motets nous paraissent être, en raison de leur intensité, de la meilleure veine créatrice de Mouret.
Quoique bien servis eux aussi par des instrumentistes dont la qualité première réside dans l’art de la conversation élégante et dans la recherche de couleurs, les Airs à danser et le Concert de chambre sont par contre plus conventionnels. On leur concédera ce que la notice souligne : de la grâce, ainsi qu’un caractère joyeux et spontané. Mais ils n’en arrivent pas pour autant à soulever un enthousiasme démesuré. On les qualifiera d’agréables, sans plus. Un album qui enrichit la connaissance de Mouret, interprété avec cœur et conviction ; il donne envie d’approfondir les pages vocales de ce créateur qui demeure un méconnu.
Son : 8 Notice : 8 Répertoire : 8 Interprétation : 8,5
Jean Lacroix