Les cordes néoclassiques de Grażyna Bacewicz

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Grażyna Bacewicz (1909-1969) : Divertimento pour cordes ; Sinfonietta pour cordes ; Symphonie pour cordes ; Concerto pour cordes. Orchestre de chambre Amadeus de la Radio polonaise, direction Agnieszka Duczmal. 2004, 2009, 2010. Notice en polonais et en anglais. 54.53. Dux 1828.

Née à Lodz, Grażyna Bacewicz, sans doute la compositrice polonaise la plus importante du XXe siècle, reçoit ses premières leçons de piano et de violon de son père qui est compositeur. Elle se perfectionne au Conservatoire de Varsovie avant de rejoindre Nadia Boulanger à Paris pour la composition, grâce à une bourse de deux ans (1933-34) que lui accorde Paderewski. Elle effectue un second séjour dans la capitale française après un bref retour dans sa terre natale. Cette fois, elle est dans la classe de violon du Hongrois Carl Flesch, qui compte parmi ses élèves Ginette Neveu, Ida Haendel ou Henryk Szeryng. Elle fait ensuite carrière en Pologne, où elle est pendant deux ans premier violon de l’Orchestre de la Radio. Elle est aussi soliste de concert, à l’archet comme au piano (de façon clandestine, pendant la Seconde Guerre mondiale), et devient, après le conflit, professeur au Conservatoire de Lodz. Mais elle consacre depuis longtemps une grande partie de son temps à la composition qui deviendra son occupation principale, et même la seule, après un grave accident de voiture en 1954. Elle est attirée aussi par la littérature : elle écrira des nouvelles et un roman, ainsi que des textes autobiographiques. Elle laisse un catalogue abondant (dont quatre symphonies et sept concertos pour le violon), bien documenté par une série de labels (Ondine, Hänssler, Olympia, Muza, Anaklasis, DG, Naxos…). Dans son répertoire figurent plusieurs partitions pour orchestre à cordes, dont la majorité est regroupée dans le présent programme, qui propose des pages écrites entre 1935 et 1965.

Caractérisée par une écriture souvent condensée, l’inspiration de Bacewicz se construit d’abord autour d’un néoclassicisme qui va se personnaliser de plus en plus, marquer des affinités avec la musique de Karol Szymanowski (dont elle jouera en soliste le Concerto pour violon n° 1) et aboutir à des recherches de sonorités et à la tentation du sérialisme. Mais la période baroque et classique l’interpelle, et elle s’y référera dans ses compositions. Sa Sinfonietta pour cordes de 1935, en trois mouvements, est une œuvre de jeunesse pleine de rythmes et d’expressivité, avec des réminiscences de chansons dans l’Allegro initial et un caractère ludique dans le Vivace conclusif. 

L’expressivité qui s’y manifeste se prolonge dans deux œuvres de l’immédiat après-guerre. La Symphonie pour cordes de 1946, en quatre mouvements, cultive le néoclassicisme et l’attrait pour le baroque, notamment dans l’Allegretto, troisième partie en forme de passacaille, où se bousculent de fortes émotions dans un contexte sombre, racheté par le final, Thème et variations, dynamique et d’une densité élégiaque. Mais c’est le Concerto pour cordes de 1948, applaudi par Szymanowski, qui, dans un contexte de transparence (Allegro), de contemplation esthétique (Andante) et de narration rythmique (Vivo) est le plus représentatif de l’influence baroque, à tel point qu’il sera considéré comme « un moderne brandebourgeois ». 

L’éditeur a eu la bonne idée d’inscrire en tête d’affiche le Divertimento pour cordes de 1965, dont la durée dépasse à peine les six minutes, et qui est de la dernière manière de Bacewicz. Dans une architecture très resserrée, la brièveté de chacun des trois mouvements se décline en une transparence de plus en plus originale et passionnée, marquée par des sonorités abruptes et des glissandos. Une page énergique, dont la concentration symbolise l’évolution de la compositrice vers un dépouillement de plus en plus grand, mais dont le lien avec la Sinfonietta de 1935 qui la suit dans la structure de l’album, indique la continuité, à trente ans de distance, d’une même inspiration dynamique, toujours en éveil.

L’Orchestre de Chambre Amadeus de la radio polonaise (appellation définitive depuis 1988) a été fondé en 1968 par Agnieszka Duczmal (°1946), première femme à diriger à la Scala de Milan. Cette formation a donné des centaines de concerts et enregistré de nombreux disques dont, pour Dux, quelques remarquables Weinberg. Ici, on constate à quel point l’implication des instrumentistes et de leur cheffe bénéficie à cette musique expressive, nuancée et imaginative. Le Concerto pour cordes figurait récemment dans un programme intitulé « 1948 » (Dux 1802), aux côtés de pages de Szervánsky, Sugár et Weinberg, représentatives d’une année douloureuse pour la musique sous l’ère soviétique. C’était l’Orchestre de Chambre Erdödy de Zsolt Szefcsik qui en assurait l’interprétation (notre article du 29 juin dernier). Pour Bacewicz, notre préférence va à la gravure de Duczmal, un enregistrement de 2004, en raison de sa chatoyante vitalité. Les autres prises de son de cet album ont été effectuées, également en 2004 pour le Concerto, en 2009 et 2010 pour la Symphonie et la Sinfonietta, à Poznań, où est basé ce remarquable Orchestre de Chambre Amadeus. 

Son : 8  Notice : 8  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

 

  

 

  



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