Les si beaux chants douloureux d’un triste héros romantique

par

A l’Opéra de Liège, le public est invité ces jours-ci à partager « les souffrances du jeune Werther », telles que Goethe les a d’abord consacrées en littérature avant que le compositeur Jules Massenet ne les accomplisse en une partition et des airs qui ne cessent d’émouvoir. J’ai pu assister à la pré-générale de cette production.

Triste destinée en effet que celle de ce jeune homme absolument étranger aux quotidiennetés de son entourage, rêveur, épris d’absolu, en communion avec une nature idéalisée. Le type même du « romantique ». De plus, évidemment désespérément épris de celle qu’il ne peut aimer. Il l’aime « à en mourir ». Il se suicidera.

Celle qu’il aime ainsi, c’est Charlotte, et s’il ne peut l’aimer, c’est qu’elle est promise à Albert, qu’elle épousera. Mais elle aussi aime ce Werther qu’elle ne peut aimer. Des passions contrariées, éminemment romantiques donc. Autour d’eux, en contraste, « la vraie vie », celle des ribotes de joyeux drilles, celles des répétitions de chants de Noël enfantins.

Comme je viens de l’écrire, la musique de Jules Massenet accomplit cette tragédie. Dans ses intermèdes, dans ses moments instrumentaux solistes, dans ses répétitions thématiques, ses leitmotivs en quelque sorte. Dans ses airs merveilleux. Elle est immédiatement expressive, elle est séduisante, elle est envoûtante.

Lors de la pré-générale, Giampaolo Bisanti et l’Orchestre de l’Opéra de Wallonie-Liège étaient déjà « à la juste mesure » de cette partition. 

Quant aux solistes, tout en devant ménager leurs voix, ils ont fait preuve d’une belle générosité dans leur chant, laissant facilement imaginer ce qu’ils offriront au public des représentations à venir - qu’ils réjouiront. Que ce soit Arturo Chacon-Cruz-Werther, Clémentine Margaine-Charlotte, Elena Galitskaya-Sophie, Ivan Thirion-Albert, Ugo Rabec-Le Bailli, Pierre-Derhet-Schmidt, Samuel Namotte-Johann, Jonathan Vork-Bruehlmann, Lucie Edel-Kätchen, sans oublier la fraîcheur des petits chanteurs de la Maîtrise de l’Opéra.

La mise en scène de Fabrice Murgia installe de belles images sur le plateau, significatives des lieux successifs de l’action (scénographie de Rudy Sabounghi) et animées par les lumières d’Emily Brassier qui leur confèrent densité et atmosphère. Il recourt bien sûr, c’est sa façon de faire, à la vidéo (grâce à Giacinto Caponio), des images filmées et travaillées en direct, projetées sur les décors, qui sont comme un accès à l’intériorité des personnages, à ce qui les agite, à leurs réactions face à ce dont ils sont les témoins. Un petit bémol, mais cela sera sans doute mis au point pour la première, les prises de vue dans la fosse d’orchestre n’étaient pas (encore) bien focalisées sur les instruments-acteurs.

En ce jour J-3 de la première, le nombreux jeune public invité (c’est une excellente initiative de l’Opéra de Liège que cette familiarisation à l’art lyrique), confronté pourtant à une autre temporalité que le sienne (Instagramm-Tik-Tok), à d’autres façons d’aimer et d’exprimer son amour, a manifestement été séduit par cette « tragédie en musique ».  

Liège, Opéra de Liège, 10 avril 2025

Stéphane Gilbart

Crédits photographiques : J.Berger-ORW Liège

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.