Les World Music Masters 2023 à Monte-Carlo
Le public de Monte-Carlo suit chaque année depuis 30 ans les " World Music Masters ", le Concours des Concours où les candidats sont tous des finalistes de concours internationaux. La spécificité des Masters c'est qu'il n'y a qu'un seul vainqueur gratifié d'un prix de 30.000 euros.
Les Masters ont été placés sous le Haut Patronage de S.A.S. Le Prince Souverain et depuis 2000 le prix porte le nom de Prix Prince Rainier III qui a doté personnellement le prix. A l'occasion de la célébration des cent ans de la naissance du Prince Rainier, les organisateurs Jean-Marie et Chantal Fournier ont décidé cette année de présenter deux disciplines: le piano et le violon, au lieu d'une, comme les années précédentes.
Il n'est pas évident de coordonner deux concours. Marie-Automne Peyrègne a eu une tâche très difficile : accueillir les membres du jury, les candidats, tenir compte des retards d'avion, hébergements, programmes, relations presse... afin que tout soit réglé comme du papier à musique. Les épreuves ont lieu à l'Opéra de Monte-Carlo dans la superbe Salle Garnier.
Pour la première épreuve, il y a huit candidats sélectionnés parmi les candidatures de finalistes de concours internationaux prestigieux. Comme la salle n'était pas libre, la première épreuve des Masters de violon a eu lieu dans une autre salle, à huis clos. C'est dommage car le public n'a pas pu se rendre compte du niveau général.
Après avoir entendu Sergey Khachatryan en concert la semaine passée, on ne peut qu'être déçu par le niveau des quatre violonistes de la demi-finale. (Khachatryan était le premier prix du Concours Sibelius à l'âge de 15 ans et vainqueur du Concours Reine Elisabeth de Belgique à 20 ans et il est aujourd'hui un des meilleurs violonistes du monde).
Il n'y a cette année aucun violoniste avec une personnalité digne du "Concours des Concours". On peut se poser la question ce qui a motivé le jury à éliminer Artiom Shishkov, lauréat d'une vingtaine de concours internationaux et finaliste du Concours Reine Elisabeth. On ne le saura jamais. La Française Marie-Astrid Hulot , deuxième au Concours Nielsen a un beau timbre et un beau son, mais elle ne captive pas. Clarissa Bevilacqua a une très belle présentation, mais son violon est désaccordé et elle ne semble pas s'en rendre compte.
Vikram Francesco Sedona, âgé de 22 ans, est le seul à avoir un tempérament original et de l'inventivité. Son interprétation de la Sonate de Georges Enescu est magique. Il transporte l'auditeur dans un monde sonore plein de couleurs. Il donne l'impression d'improviser à la manière tzigane, grâce à une énorme maîtrise technique. Tout y est : le mystère comme la témérité, la brute et le papillon, exécuté avec goût et dévouement. Son Poème de Chausson est plein de lyrisme, de pureté, de profondeur et de sincérité. Un jeune violoniste à suivre.
Iris Scialom est une jeune violoniste très talentueuse et très prometteuse. Elle est lauréate de la Fondation Gautier Capuçon et de l'Académie Musicale Philippe Jaroussky. Elle a étudié au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris dès l’âge de 13 ans. Elle a une sonorité limpide, c'est une musicienne raffinée qu'on écoute avec plaisir.
Elle choisit pour la finale le célèbre Concerto de Sibelius. C'est un bon choix surtout qu'elle arrive à surpasser toutes les difficultés techniques.
Il est évident que Clarissa Bevilacqua a du talent à faire valoir. L'avenir nous dira si Iris Scialone pourra assumer la carrière qui lui est offerte grâce à ce concours. Il est clair que le même jury devait siéger pour les deux concours. Un panel de musiciens éminents. Les pianistes, chefs d'orchestre et directeurs artistiques peuvent parfaitement distinguer toutes les qualités et défauts d'un violoniste. Silvia Marcovici était la seule violoniste qui a assisté à toutes les épreuves. Maxim Vengerov a rejoint le jury pour la finale. Vikram Sedona est l'élève de Silvia Marcovici et elle n'a pas pu voter pour son élève. C'est une anomalie qui devrait être évitée à l'avenir.
Les Masters pour piano étaient quant à eux d'un très haut niveau. Les huit candidats présentaient tous des qualités exceptionnelles. On peut regretter que le pianiste Slava Guerchovitch, âgé de 23 ans, n'ait pas eu la chance d'Iris Scialom au violon. Il a été éliminé en quart de finale malgré une interprétation grandiose d'une Étude-Tableau de Rachmaninov et d’ Après une lecture du Dante : Fantasia quasi sonata de Franz Liszt. Pas de soucis : la carrière de Slava Guerchovitch prendra son envol dans un proche avenir tant le jeune homme a du talent. Les quatre demi-finalistes méritaient leur classement : Ivan Vihor de Croatie , Zhora Sargsyan d'Arménie, Alexey Trushechkin de Russie et Aristo Sham de Chine ont été brillants.
La performance d'Alexey Trushechkin a été très appréciée du public. Son récital était exaltant. Il aurait très bien pu être un des finalistes. Zhora Sargsyan était Troisième Prix au Concours Long-Thibaud-Crespin en 2019. Pour la finale des Masters il a choisi le Concerto n°2 de Rachmaninov. Son interprétation est éclatante, fougueuse et puissante. Aristo Sham a conquis le public dès le premier tour. Élégant et charismatique, il est fascinant dans Liszt, Chopin, Debussy et Rachmaninov. Pour la finale il joue le Concerto n°3 de Rachmaninov. Une exécution envoûtante, jouée avec émotion, poésie et chaleur. Il remporte le prix et il a été directement engagé par l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo pour une soirée de gala au mois de septembre. Lio Kuokman, lauréat du Concours Svetlanov, a accompagné et soutenu les concurrents à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo : merveilleux travail avec l'orchestre, à l'écoute de chaque concurrent. On espère l'accueillir dans un proche avenir dans un programme symphonique pour apprécier toutes ses qualités de chef d'orchestre.
Monte-Carlo, Salle Garnier, 14 au 17 juin
Carlo Schreiber
Crédits photographiques : Marie-Automne Peyrègne