Mais pourquoi Elgar n'a-t-il jamais écrit d'opéra ?

par

Edward ELGAR (1857-1934)
Scenes from the Saga of King Olaf - The Banner of Saint George
E. Birsan (soprano), B. Banks (ténor), A. Opie (baryton), Bergen Philharmonic Choir, Choir of Collegiûm Mûsicûm, Edvard Grieg Kor, Bergen Philharmonic Orchestra, dir.: Sir Andrew Davis
2015-2 SACD-53' 18'' et 59' 07''-Textes de présentation en anglais, allemand et français-chanté en anglais-Chandos CHSA 5149 (2)

Elgar a écrit quatre cantates profanes avant sa véritable percée internationale en 1899, avec la création des Enigma Variations. Ces cantates ne sont certes pas inconnues mais n'atteindront jamais la célébrité de ses partitions chorales ultérieures telles The Dream of Gerontius ou The Music Makers. Si The Black Knight et Caractacus, semblent plus oubliées, les deux cantates présentées par cet album Chandos le sont moins. King Olaf (1895) s'inspire d'un poème de Longfellow relatant la vie d'Olaf Tryggvason, roi de Norvège au Xème siècle, et qui convertit son peuple au christianisme. Notons qu'il s'agit du même personnage à qui Grieg a consacré son opéra inachevé. Le livret lie les trois tentatives amoureuses du roi avec la victoire des chrétiens sur les païens. Il ne s'agit pas d'un opéra, ni même d'un oratorio : l'oeuvre est intitulée "Scènes", à l'instar de celles que Schumann a dédiées à Faust. Mais cette suite de tableaux dramatiques comporte récitatifs, airs, duos et choeurs, et, à son écoute, on pourrait parfaitement imaginer ce qu'aurait pu être un opéra d'Elgar. Le baryton introduit chaque morceau, et les solistes, ou le choeur, interprètent les différents personnages de l'histoire. Certaines scènes sont ainsi très animées et vivantes, comme celle de la conversion d'Olaf, vigoureuse, la festive ballade "The Wraith of Odin", le duo entre Olaf et Sigrid, assez wagnérien, puis celui avec Thyri. Celui-ci, particulièrement inspiré, est sans conteste un vrai duo d'amour d'opéra. Admirons par exemple la déclaration d'Olaf "Thyri my beloved" et la si belle ligne sur "And the lands of Thyri shall I win for prize". Duo qui sera suivi par la description de l'expédition d'Olaf contre les dragons, de la bataille navale puis de la mort du héros, scènes brossées avec un tempérament épique que l'on n'accordait pas à Elgar. La coda sera recueillie, puis pacifiste, culminant, après un beau choeur a capella "As torrents in summer", par un trio avec choeur, tel un final d'opéra de la meilleure tradition. Aux côtés de cette fresque imposante, The Banner of Saint George (1897) apparaît plus mineure. Beaucoup plus courte (moins d'une demi-heure), sans solistes, c'est une oeuvre de circonstance rejoignant la filiation chorale victorienne. Elle conte la délivrance par Saint George, tel un Persée anglais, d'une population terrifiée par un dragon. Hormis une jolie écriture chorale dans les passages de déploration du début ("No more they charm the passing hours"), la cantate s'égare dans la convention pour se terminer par un épilogue patriotique trop prévisible. L'interprétation est de premier ordre. Sir Andrew Davis connaît ce répertoire sur le bout des doigts et se lance dans la saga en révélant le caractère épique du jeune Elgar par sa maîtrise des masses chorales, mais aussi par la délicatesse avec laquelle il souligne l'orchestration raffinée du compositeur (duo entre Olaf et Barbe de fer, introduction de l'air de Sigrid, choeur "A little bird in the air", fugue de la bataille). Les cuivres sont bien mis en valeur, parfois trop peut-être (le tuba semble avoir un micro pour lui tout seul !). Les trois choeurs rivalisent d'ampleur, de force et de puissance, mais aussi souvent de grâce et de charme, rendant à cette oeuvre toute sa diversité. Les solistes ne récitent pas leur partition, mais participent intensément à la trame quasi théâtrale qu'ils illustrent. Emily Birkan détaille ainsi les émois des trois femmes conquises par Olaf, et Alan Opie prend sur lui le rôle de Barbe de fer ainsi que tous les récitatifs, dont la tessiture se révèle parfois un peu grave pour lui. Quant à Barry Banks, il incarne le rôle-titre avec autant de force que de douceur, d'après l'émotion de l'instant. Voilà une parution qui fera regretter qu'Elgar n'ait jamais composé d'opéra.
Bruno Peeters

Son 9 - Livret 10 - Répertoire 9 - Interprétation 10

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