Malgré Jordi Savall, un décevant Orfeo de Monteverdi

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Claudio Monteverdi (1567-1643) : L’Orfeo, fable en musique en cinq actes et un prologue. Luciana Mancini (La Musica, Euridice), Marc Mauillon (Orfeo), Sara Mingardo (Messaggiera), Marianne Beate Kielland (Speranza, Proserpina), Furio Zanasi (Apollo), Salvo Vitale (Caronte, Plutone), Victor Sordo (Pastore I, Spirito II), Lise Viricel (Ninfa), Gabriel Diaz (Pastore II, Spirito IV), Alessandro Giangrande (Pastore III, Spirito I, Eco), Yannis François (Pastore IV, Spirito III) ; La Capella Reial de Catalunya ; Le Concert des Nations, direction Jordi Savall. 2021. Notice en anglais et en français. Pas de livret, mais synopsis en anglais et en français. Sous-titres en italien, en anglais, en allemand, en français, en japonais et en coréen. 118'00''. DVD Naxos 2.110733 (Aussi disponible en Blu Ray)

Monteverdi, et en particulier son Orfeo, a été bien servi sur le plan vidéographique. Peu d’opéras peuvent se targuer de compter parmi leurs références en images les noms de chefs d’orchestre comme Rinaldo Alessandrini, Stephen Stubbs, René Jacobs, William Christie, Jean-Claude Malgoire ou Jordi Savall, qui, en 2002, signait déjà pour Opus Arte un spectacle filmé à Barcelone, dont la chaleur de l’interprétation (Montserrat Figueras en faisait partie) et la beauté sonore, dans la mise en scène de Gilbert Deflo, faisaient merveille. Près de vingt ans après, Jordi Savall récidive avec une nouvelle version, filmée en juin 2021 à Paris, à l’Opéra-Comique, à l’occasion de la réouverture du lieu après la pandémie.

Autant le dire d’emblée : c’est une immense déception. Attention : celle-ci ne concerne pas l’aspect musical ; Jordi Savall utilise un effectif moins important qu’il y a deux décennies pour enrober la sublime partition de toute la souplesse et la fraîcheur qu’elle réclame, dans des tempi vifs et avec un raffinement qui séduit dès la Toccata initiale. La déception ne concerne pas non plus le plateau vocal, même si la distribution appelle quelques réserves. On retrouve deux participants à l’aventure barcelonaise de 2002 : le baryton Furio Zanasi, Orfeo d’alors (il l’a été aussi pour Alessandrini en 2011), remarquable de présence ici, dans le rôle d’Apollo, et la contralto Sara Mingardo, qui est une aussi convaincante et émouvante Messaggiera qu’il y a vingt ans. Pour ce nouveau Savall, c’est le baryton Marc Mauillon qui a été choisi pour incarner Orfeo. Si ses qualités vocales sont présentes, malgré un timbre parfois métallique, il ne transmet guère d’émotions dans le rôle, au point de créer une certaine indifférence. Euridice, c’est la mezzo Lucia Mancini, émotion tout aussi peu palpable, même en Musica, et parfois en légères difficultés d’émission. On peut y ajouter la Proserpina de la mezzo Marianne Beate Kielland, qui laisse froid, y compris en Speranza. Par contre, la basse Salvo Vitale convainc par son aplomb en Caronte et en Plutone. Les divers Pastore et Spirito tiennent leur place, de même que la soprano Lise Viricel dans le bref personnage de Ninfa. On accordera donc une mention globale honorable aux aspects musicaux et vocaux, dont on pourrait se contenter sur disque.

Hélas, il s’agit d’un spectacle, et là, le bât fait plus que blesser ! Pauline Bayle (35 ans), comédienne et adaptatrice pour le théâtre de monuments comme L’Iliade et l’Odyssée de Homère ou Les Illusions perdues de Balzac, dont elle a assuré la mise en scène avec succès, s’égare cette fois complètement dans un contexte qu’elle a sans doute voulu le plus dépouillé possible, mais qui se révèle, à la vision, d’une gaucherie, d’une pauvreté d’idées et même d’une naïveté qui passent mal la rampe. A force de suivre le livret au cordeau, elle lui enlève toute substance et toute portée charismatique pour proposer en fin de compte un univers qui n’atteint jamais la dimension du mythe. On peut parler de débâcle scénique, les décors quasi inexistants d’Emmanuel Clolus et les costumes, certains pseudo-antiques (blancs pour le couple principal, noirs pour Caronte ou les chœurs), d’autres fagotés, signés Bernadette Villard, ne venant en rien atténuer le statisme et les gestes artificiels des interprètes. Peut-on d’ailleurs appeler cela une direction d’acteurs ?

Dès le début du spectacle, on a droit à un fond de scène noir (il le demeurera tout du long, sauf lorsqu’Apollo apparaîtra à l’Acte V, un rectangle bleuté lui laissant le passage) et à un prologue où les protagonistes sont en rang d’oignons, d’où se détache timidement La Musica, revêtue d’une robe rouge. Bientôt, ce sera l’étalement d’un tapis de fleurs, tout aussi rouges (en plastique ?), et son déploiement aux Actes I et II. Après, la scène est nue, longtemps. C’est la descente aux Enfers. On retrouve le tapis de fleurs, sous la forme d’un cercle, après l’épisode de la transgression, ce qui permettra notamment à Orfeo de se réfugier en son milieu après avoir commis l’erreur de ne pas pouvoir résister à contempler son Euridice, la renvoyant ainsi au royaume des ombres. A ses côtés est placée, parmi cette végétation, la robe blanche, figée, de l’héroïne, pour symboliser son absence. Maigre dispositif, à la fois désolant et peu imaginatif. Les chanteurs font ce qu’ils peuvent dans cette mise en espace réduite et sans âme ; ils paraissent souvent mal à l’aise dans leur gestuelle, leurs interactions sont factices et peu naturelles. 

On suit tout cela avec beaucoup d’amertume, car on en attendait plus, Pauline Bayle ayant prouvé ailleurs un potentiel des plus éloquents, qu’elle semble avoir ici perdu en route. Les moments de danse (Yannick Bosc, Loïc Faquet et Xavier Perez) n’ont guère d’originalité et sont proches de la gesticulation, et la présence fugace de l’un ou l’autre instrumentiste sur scène vient s’ajouter aux questions que l’on se pose sur le sérieux de la réflexion en profondeur qui a été menée pour l’élaboration de cette production peu attrayante.

Notre avis peut paraître sévère, mais il s’agit de Monteverdi et de son Orfeo, chef-d’œuvre qui bénéficie d’une vidéographie de haut niveau. Il faut, par exemple, aller (re)voir ce qu’en faisait Jean-Pierre Ponnelle à Vienne en 1978 avec Harnoncourt (DG) ; c’était peut-être trop fastueux (en tout cas pas pour nos yeux, éblouis), mais c’était tellement créatif ! Pauline Bayle a pris au début de 2022 la direction du Nouveau Théâtre de Montreuil, centre dramatique très actif, au sein duquel elle pourra développer ses idées théâtrales. Si elle se décide à tâter à nouveau de l’opéra, domaine dans lequel elle s’est fourvoyée avec cet Orfeo raté, elle nous doit une fameuse revanche.    

Note globale : 5

Jean Lacroix

 

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