Manon Lescaut : vive attente... peu d'émotion

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La Manon Lescaut de Puccini n’avait plus été à l’affiche du Royal Opera depuis trente ans. La nouvelle production dans une mise en scène de Jonathan Kent et dirigée par Antonio Pappano était donc attendue avec impatience. Une attente d'autant plus vive que Jonas Kaufmann, le ténor du moment, y faisait ses débuts en Des Grieux. Le spectacle m’a finalement fort déçue et n'a suscité que très peu d’émotion.
Ce n’est sûrement pas la faute d’Antonio Pappano qui nous a fait entendre un Puccini transparent aux sonorités délicates mais plein de vigueur et d'un bel élan dramatique. Le premier acte respire fraîcheur et jeunesse, le second évoque les galanteries du 18e siècle avant que l’interruption de Des Grieux fasse surgir la passion qui explose musicalement dans le désespoir au 4e acte. A ce moment-là, on a trouvé l’émotion qui avait manqué avant. Etait-ce la faute des chanteurs ? Jonas Kaufmann a pourtant fait tout ce qu’on attendait de lui. Il est un jeune premier de rêve, un acteur engagé, il chante avec conviction mais laisse pourtant assez indifférent. Vocalement, le rôle exigeant de Des Grieux ne lui pose aucun problème et les aigus sonnent comme des cloches de bronze. Mais il y a si peu d’italianita dans son interprétation, si peu d’envoûtement vocal... C’est tout de même à Puccini que nous avons affaire! Vocalement, sa partenaire la soprano lettone Kristine Opolais ne fait pas vraiment le poids à côté de lui. La voix est assez étroite, manque de velours et de couleurs chaudes et ne rayonnait pas. Elle est appliquée mais cette Manon ne nous fait pas vivre, aimer et souffrir avec elle. Physiquement, c'est une Manon très crédible qui peut faire croire à la jeune fille naïve et légère que le metteur en scène Jonathan Kent présente au premier acte. Que cette jeune personne se laisse docilement conduire au cloître, c'est autre chose. Car transporter l’action vers notre époque est assez facile, mais la rendre crédible et y intégrer les différents éléments du livret l'est beaucoup moins. Passe encore pour le premier acte et l’arrivée de Manon et Géronte en minibus à l’hôtel-motel où des étudiants font la fête et entrent sans problèmes dans le casino adjoint. Mais que faire des chanteurs de madrigaux et le maître de danse au deuxième ? Ils se transforment en acteurs dans des enregistrements de scènes érotiques que Géronte présente à ses invités. Au troisième, pas de déportations de prostituées vers l’Amérique, mais un sorte de marché de filles de plaisir animé par le capitaine du navire, devenu le patron de l’affaire. Au quatrième, Manon et Des Grieux ont échoué sur une construction de béton, sorte de route inachevée (décors Paul Brown). Pas très convaincant tout cela, et souvent même fort hermétique (troisième acte). Peut-être cette mise en scène peu inspirée et généralement surchargée est-elle la première responsable du fait que le spectacle n’accroche pas, que les protagonistes s’imposent difficilement et n'arrivent pas à nous faire vivre avec eux. La distribution compte pourtant de belles prestations : Christopher Maltman (un Lescaut désinvolte) et Maurizio Muraro (Géronte d’une belle autorité vocale), tandis que l'Edmondo de Benjamin Hulett, le musicien de Nadezhda Karyazina et l’allumeur de Luis Gomes méritent une mention favorable.
Erna Metdepenninghen
Londres, Covent Garden, le 7 ju illet 2014

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