Mélodies de Donizetti, volume III :  Michael Spyres cisèle le raffinement français

Gaetano Donizetti (1797-1848) : Mélodies, volume III. Michael Spyres, ténor ; Carlo Rizzi, piano. 2024. Notice en anglais. Textes reproduits avec traduction anglaise. 80’ 20’’. Opera Rara ORR256.

C’est suite à l’édition critique des mélodies de Donizetti par le musicologue anglais Roger Parker (°1951) que le présent projet est né, à l’occasion des 50 ans du label. Son ambition est de proposer en huit parutions deux centaines de mélodies de Donizetti, qui couvrent trois décennies de carrière, inconnues pour la plupart, la majorité n’ayant jamais fait l’objet d’un enregistrement. Les deux premiers volumes, ont été confiés au ténor Lawrence Brownlee, puis au baryton Nicola Alaimo. Pour le troisième, le ténor américain Michael Spyres, dont on connaît le goût pour notre langue qu’il sert toujours avec maîtrise et éloquence, est de l’aventure, ce volume étant entièrement dédié à des poèmes d’auteurs français, à l’exception d’un seul, qui est en allemand. Le résultat, enrichi d’une précieuse documentation, est des plus remarquables.

Dix-huit plages s’offrent ici au mélomane pour découvrir des textes de poètes du XIXe siècle, dont certains ont une réputation moyennement établie : Auguste Richomme, Émile Barateau, Sylvain Blot ; leur inspiration n’est toutefois pas négligeable lorsqu’ils évoquent l’exotisme, l’amour ou l’oubli. On épinglera Le Retour au désert du premier nommé, avec son climat d’exubérance dynamique. Des noms mieux connus sont présents. Émile Deschamps (1791-1851), qui fut l’un des premiers représentants du romantisme et rédigea le livret de Roméo et Juliette de Berlioz, s’attarde aux rêves de bonheur. Paul Lacroix, connu aussi sous le nom de « Bibliophile Jacob » (1806-1884), écrivit des romans historiques (il collabora avec Dumas père) et fut conservateur de la bibliothèque de l’Arsenal. Deux mélodies le mettent en évidence : N’ayez pas peur Madame incite, en touches harmoniques délicieuses, à ne pas craindre l’amour, tandis que Le Petit Joueur de harpe (avec le concours de la harpiste Sally Clark) incarne la détresse de la perte compensée par un chant de joie. 

Le ténor Adolphe Nourrit (1802-1839), qui fut un chanteur très estimé au cours des années 1820 et 1830, créa des opéras de Rossini (Guillaume Tell), Meyerbeer (Robert le Diable) ou Halévy (La Juive) et fréquenta Donizetti à Naples avant de se défenestrer. Il était aussi poète à ses heures. Deux mélodies en attestent. L’une fait appel au soutien de Dieu dans l’adversité ; l’autre, vaste page de plus de douze minutes à la manière d’une cantate, porte pour titre La dernière nuit d’un novice. Ce mélodrame met un religieux face à un esprit malin qui le tente en lui dévoilant en songe les plaisirs terrestres, auxquels il finira par résister. Jean-Jacques Rousseau est présent avec un poème Vous dont le cœur, aux accents simples. Victor Hugo n’est pas oublié, avec son Autre chanson, tirée des Chants du crépuscule, où la représentation de la nature appelle à ouvrir la porte de l’amour, avec sa répétition des vers Ô ma charmante,/Écoute ici/L’amant qui chante/Et pleure aussi !

Un petit nombre de mélodies d’auteurs anonymes jalonnent le récital. On sera ému par Le Violon de Crémone (avec l’apport d’Eloisa-Fleur Thom à l’instrument), dans lequel l’âme d’une jeune fille décédée est conservée par un tendre écho qui unit son père à son cœur séparé.

Michael Spyres (°1979) chante ces mélodies avec une remarquable aisance, ciselant les sentiments avec raffinement et délicatesse. Dans ce répertoire qu’il fréquente avec son expérience du belcanto et de l’opéra romantique, il témoigne de sa parfaite compréhension du lyrisme français et de son absolue maîtrise des mots qu’il peaufine à chaque instant. L’expressivité, l’émotion, la séduction chaleureuse s’enchevêtrent pour ces moments de bonheur vocal. Carlo Rizzi, pianiste stylé, se révèle un partenaire idéal, attentif à toutes les nuances. Un régal absolu, à ne manquer sous aucun prétexte. 

Son : 9    Notice : 10    Répertoire : 10    Interprétation : 10

Jean Lacroix