Michel Fourgon, compositeur sur les traces de Goethe

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Dans le cadre de son prochain festival Storytelling, l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège et son chef, Christian Arming, ont notamment mis à l’affiche la création du dernier opus en date du compositeur belge Michel Fourgon, Goethes Fragmente. L’occasion est belle de faire plus ample connaissance avec un compositeur qui bénéficie d’une excellente réputation mais qui n’est sans doute pas (encore) assez connu du grand public.

Lorsqu’on parcourt le catalogue de vos œuvres, un élément apparaît avec force, c’est la présence répétée de la voix, et cela sous toutes ses formes, de la mélodie à l’opéra. Est-ce bien le reflet d’une volonté, d’un goût particulier de votre part ?

Il est incontestable que la voix résonne en moi de manière très particulière. Le recours à la vocalité m’apparaît très souvent comme une évidence, comme un moyen privilégié de transmettre quelque chose de fort, de profond. C’est sans doute d’abord une conséquence de mon éducation. J’ai eu la chance de grandir au sein d’une famille de musiciens pour qui la pratique vocale, et notamment des chants populaires, était quotidienne. J’ai adoré chanter moi-même, déjà enfant puis en tant que membre de divers ensembles vocaux.

Généralement, et contrairement à leurs collègues anglo-saxons ou scandinaves, par exemple, les compositeurs des pays latins accordent peu de place à la musique chorale. Vous faites donc exception ?

Peut-être. En tout cas, cette musique me procure beaucoup de plaisir, et me donne même parfois le frisson. Je prends un exemple, qui m’a accompagné en quelque sorte tout au long de ma carrière : celui de la polyphonie de la Renaissance interprétée par Peter Philips et ses Tallis Scholars. Leurs enregistrements sont d’une beauté saisissante, qui véritablement élève l’âme. J’ai eu l’occasion de rencontrer récemment Peter Philips au Festival musical de Namur, et bien je peux vous dire très sincèrement que j’étais très ému !

Les chanteurs répondent bien à l’intérêt que vous leur portez ?

Oui, et c’est également l’une de mes grandes satisfactions. J’aime particulièrement travailler avec les chanteurs, à titre individuel ou collectif. Je garde par exemple un excellent souvenir de ma rencontre avec ceux et celles qui assuraient les rôles principaux de mon opéra, Lolo Ferrari (créé en 2013 à l’Opéra de Rouen, NDLR). Il se crée alors une forme de complicité qui va beaucoup plus loin que la simple découverte de la partition ou encore la gestion des problèmes techniques inhérents à ce type d’aventure musicale.

Un lien particulier avec la musique vocale induit un rapport privilégié avec le texte, avec la poésie.

Assurément ! J’ai un rapport très sincère et très spontané avec la poésie. Quotidien, également. La journée ne commence vraiment qu’après la lecture d’un poème. Alors, bien entendu, j’ai mes préférences. Verlaine, par exemple, me laisse assez froid, alors que Rimbaud me fait systématiquement un effet détonnant. Quant à Goethe, c’est un véritable compagnon de route, un frère qui me raconte une histoire avec les meilleurs mots qui soient.

Vous le sollicitez, justement, dans l’œuvre qui va être créée à Liège ce 31 janvier : Goethes Fragmente. C’est même très précisément le Goethe du Divan auquel vous faites appel. Y a t-il un message ?

En effet. Il y a des raisons socio-politiques qui sous-tendent mon travail, auquel je souhaite donner une résonnance actuelle que j’assume pleinement. Lorsque Goethe, dans Le Divan, s’intéresse à un poète persan du 14ème siècle, Hafez, il ne cherche pas un prétexte, il n’adopte pas une posture. Il effectue au contraire un travail d’une réelle profondeur sur cette « autre » culture avec la volonté de créer un pont, un rapport direct entre Orient et Occident. C’est de cette démarche que je me réclame.

La distribution de l’œuvre est des plus originale, puisqu’elle comprend un trombone soliste, un chœur d’hommes et l’orchestre symphonique. Vous cherchez l’inédit ?

Je dirai plutôt que, dans mon esprit, l’association du trombone et des voix d’hommes relève presque de l’évidence, y compris dans une dimension historique qui va au moins jusqu’à la Venise des Gabrieli. Par ailleurs, j’apprécie vraiment l’idée du chœur qui raconte, certes, mais qui est aussi une couleur au sein de l’orchestre. C’est à mes yeux une démarche naturelle qui a été adoptée par plusieurs de mes glorieux prédécesseurs, de Schumann et Brahms à Berio. J’avais déjà utilisé cette technique en 2010 à la demande de l’OPRL pour Le tracé s’envole, une œuvre écrite à partir d’un texte de Corinne Hoex.* L’expérience se prolonge ici, avec les mêmes ensembles de référence, même s’il s’agit cette fois d’une commande du Centre d’Art Vocal & de Musique Ancienne (CAV&MA), dont dépend le Chœur de Chambre de Namur. On reste finalement en famille !

Ce rapport complice avec des interprètes qui ont toute votre confiance, c’est également un fil conducteur dans votre carrière ?

Certainement ! J’ai eu la chance de collaborer régulièrement avec l’OPRL, qui est un partenaire de choix. De même avec le CAV&MA concernant des œuvres destinées au Chœur de Chambre de Namur, mais aussi à Guy Van Waas et aux Agrémens (Les Mystères d’Aphra, NDLR). Le principe vaut également en ce qui concerne les solistes instrumentaux, comme Jean-Pierre Peuvion à la clarinette, Hugues Kolp à la guitare ou Alain Pire au trombone, lequel occupe une place centrale dans Goethes Fragmente. Au fil des années se créent ainsi des rapports de confiance et de complicité qui sont un ferment essentiel de ma créativité. Au star system je préfère largement le fait de pouvoir ainsi cultiver mes affinités électives en toute liberté.

Vous parlez de star system. Pour les compositeurs, la recherche de notoriété passe parfois aujourd’hui par un retour plus ou moins appuyé à la consonance. Où vous positionnez-vous dans ce débat esthétique qui traverse l’époque ?

Je ne jette pas d’anathème quant au principe de revenir à une certaine idée de la consonance, d’une forme de séduction qui vise à accrocher un public plus large, ou tout au moins qui cherche à ne pas l’effrayer inutilement par des démonstrations virtuoses purement intellectuelles. Si un retour partiel à la consonance est envisagé, il convient tout de même à mes yeux de l’envisager au service d’un langage qui porte une réelle modernité. Le créateur doit pouvoir se servir de cette liberté, certes, mais en évitant absolument toute tentation de facilité, au risque d’un total affadissement.

C’est ce que vous enseignez à vos étudiants de la classe de composition du Conservatoire Royal de Liège ?

C’est en tout cas le socle d’une réflexion fondamentale. Je m’efforce d’être un conseiller, d’être à l’écoute de personnalités qui sont toutes différentes et sont en recherche des moyens de traduire leur propre sensibilité. On ne fabrique pas des compositeurs à la chaîne ! Il faut être capable de donner certaines clés, de poser des balises. Mais il convient aussi d’être disponible à l’idée que l’on apprend en retour de ses étudiants. C’est un échange. Quelque part, je suis en constante recherche d’équilibre entre le Boulez qui clame « à bas les disciples » en tant que vulgaires perroquets, le Nietzsche du « deviens ce que tu es » et le Boileau du « cent fois remets ton ouvrage sur le métier ». Pas simple, sans doute, mais ô combien passionnant !

Propos recueillis par Jean-Marie Marchal

Concert Goethes Fragmente de Michel Fourgon (création) + Gesang der Geister über den Wassern de Franz Schubert et Egmont de Ludwig van Beethoven. Alain Pire (trombone), Katrien Baerts (soprano), Heikko Deutschmann (récitant) Chœur de Chambre de Namur, Orchestre Philharmonique Royal de Liège, Christian Arming (direction). Liège, Salle Philharmonique, le 31 janvier 2019 à 20h00 (oprl.be)

* enregistrement live disponible chez Cyprès – Chœur de Chambre de Namur / Orchestre Philharmonique Royal de Liège / Pascal Rophé / CYP 4641

Crédits photographiques : Louis Fourgon

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