Modelé et contraste pour cette nouvelle version des Leçons de Ténèbres de Couperin

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Leçons de Ténèbres. François Couperin (1668-1733) : Leçons de Ténèbres pour le Mercredi Saint. Motet pour le Jour de Pâques, Victoria Christo Resurgenti ! Michel Richard de Lalande (1657-1726) : Cantique Quatrième, Sur le Bonheur des Justes et le Malheur des Réprouvés. Sophie Junker, Florie Valiquette, sopranos. Lucile Boulanger, basse de viole. Alice Coquart, basse de violon. Pierre Rinderknecht, théorbe. Stéphane Fuget, direction, clavecin et orgue. Juin 2020. Livret en français, anglais, allemand. TT 60’06. CVS 034

Des neuf Leçons que l’on prête à François Couperin, illustrant chacun des trois jours du Triduum, il ne nous reste que celles du Mercredi Saint, écrites pour les Dames Religieuses de Longchamp. Elles succédèrent aux cycles de Michel Lambert, Marc-Antoine Charpentier, Simon de Brossard, et constituent un sommet avec celles de Michel Richard de Lalande. On regrette que l’album ne présente ce chef-d’œuvre que par quelques lignes au verso du digipack, tandis que le Cantique de Lalande n’est même pas introduit. Le livret inclut des considérations sur l’ornementation et une biographie de Couperin, certes intéressantes mais communes à d’autres albums de ce label. Pourtant le Centre de Musique Baroque de Versailles n’est pas si loin qu’on n’en daigne solliciter l’érudition…

La voix large, bronzée et médulleuse de Sophie Junker se charge de la première Leçon. Passé l’Incipit, l’interprétation confirme que la ferveur s’inscrira dans un dramatisme qui explose dans Daleth, ses prêtres gémissants, ses vierges grimaçantes, traduits avec verdeur et de troubles dissonances. Ce qui n’empêche pas l’émotion de surgir dans le Plorans ploravit, où l’aigu de Sophie Junker s’articule et s’harmonise superbement à un medium fluide. Florie Valiquette, plus diseuse, argentée et chatoyante (rien qu’à comparer les deux Jerusalem convertere) échoit de la seconde Leçon. Le timbre est peut-être moins égal et plein que sa partenaire, mais il dispose d’un registre grave qui ne se fane pas à la fin du mélisme sur Heth à mesure que s’éteint le souffle. Ses ressources vocales ne manquent pas d’éloquence, comme l’accréditent les accents qui s’emparent des souillures dans Teth. Spatialisée dans une acoustique ample qui privilégie les voix (le soutien instrumental semble un peu discret), la prestation nous situe dans le cadre de la tragédie lyrique plutôt que dans l’intimisme, ce qui est loin d’être un contresens stylistique quand on sait que les chanteuses de l’Opéra aimaient à briller dans ces airs. 

Stéphane Fuget opère à l’orgue pour les vocalises et les appels à la conversion de la cité déchue, alternant avec le clavecin pour les autres plaintes et récits. L’accompagnement mêle le théorbe aux basses de viole et de violon, gageant de subtiles nuances dans ce registre. La troisième Leçon permet de constater combien le mariage des deux interprètes complémente leurs qualités, tant pour la couleur que l’élan. Au sein d’une riche discographie, on saura apprécier comment la théâtralité de cette interprétation ne masque pas la pureté du sentiment. Heureuse union de modelé, de contraste et de posture, comme sur le tableau de Dandré-Bardon reproduit en couverture.

Parmi les nombreuses pièces sur la même thématique pascale qu’offre le répertoire de l’époque, le programme (un peu court) a choisi un adéquat Sur le Bonheur des Justes et le Malheur des Réprouvés de Lalande, dans la même tonalité que l’office de Couperin, d’après un poème de Jean Racine. À l’instar de certaines séquences des Leçons, la prononciation lumineuse, sans excès de sophistication dans les consonnes finales, se pimente d’éclats mordus, gercés, instillant une expressivité douce-amère dont nous avions déjà décelé l’idiome (un peu artificiel, diront les détracteurs) dans un précédent disque de Stéphane Fuget consacré aux grands motets de Lully. Voici une lecture ardente qui peut prendre le relais de la version déjà ancienne gravée par Véronique gens et Noémi Rime (Harmonia Mundi, février 1992). Après un parcours de pénitence, le CD se referme sur l’image de la résurrection, véhiculée dans le motet Victoria Christo Resurgenti ! de Couperin, intensément restituée par notre équipe.

Son : 8,5 – Livret : 8 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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