Motets, chorals, et l’ultime messe de Ludwig Daser, magnifiés par les chantres de Cinquecento

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Ludwig Daser (1526-1589) : Missa Pater Noster. Benedictus Dominus. Ad te levavi oculos meos. Dilexi, quoniam. Danck sagen wir alle. Daran gedenck Jacob und Israel. Savum me fac. Fracta diuturnis. Fratres, sobrii estote. Christe, qui lux es et dies / Cinquecento Renaissance Vokal. Terry Wey, contreténor. Achim Schulz, Tore Tom Denys, ténor. Tim Scott Whiteley, baryton. Ulfried Staber, basse. Avec Franz Vitzthum, Filip Dámec, contreténor. Tomáš Latjkep, ténor. Colin Mason, baryton. Joel Frederiksen, basse. Octobre 2022. Livret en anglais, allemand, français. Paroles en latin, allemand et traduction en anglais et allemand. TT 69’46. Hyperion CDA68414

L’heure de Ludwig Daser est-elle enfin venue ? Les mélomanes amateurs de la Renaissance dans l’aire sud-allemande connaissent peut-être le Benedictus Dominus à double-chœur introduisant cet album, puisqu’il figurait voilà vingt ans dans un programme sous la direction de Martin Zöbeley (Aeolus), et déjà en vinyle au milieu des années 1970 dans un volume de la collection « Bayern's Schlösser Und Residenzen » consacré à Munich. C’est à la cour catholique de cette cité que Daser exerça comme maître de chapelle dès 1552 et pour une décennie, avant que ses convictions protestantes, peu en phase avec l’élan de la Contre-Réforme, l’amenassent en 1572 à Stuttgart détachée de l’influence vaticane. Dans ce nouveau cadre, deux pôles marquent alors son style : la manière polychorale italienne, et la compréhensibilité du texte asservie à la liturgie (conformément aux exigences de l’Église congrégationniste) et favorisée par la culture religieuse de ce compositeur qui avait étudié la théologie à Ingolstadt. Écrit en 1568 pour les noces du futur duc Guillaume V, un motet d’apparat prouve toutefois que Daser, même après son éviction, ne demeurait pas en mauvais terme avec la cour bavaroise.

Après une récente monographie du Huelgas Ensemble enregistrée en 2021 à l’église Saint-Augustin d’Anvers (DHM) où Paul Van Nevel se concentrait sur la Missa Preter rerum seriem et la Missa Fors seulement, le présent CD dresse un portrait élargi. On y trouve une autre des vingt-deux messes, la toute dernière, en plain-chant, reposant sur plusieurs sources grégoriennes, dont l’Ave Maria et le Pater Noster qui lui donne son titre. Procédés en cantus firmus, en imitation, en canon, en paraphrase : un riche arsenal technique signe la virtuosité conceptuelle de l’auteur à son apogée dans ce genre.

Le programme inclut aussi deux chorals en langue allemande qui relèvent bien sûr de l’office luthérien, tel qu’il se pratiquait auprès du nouvel employeur de Daser à Württemberg. En revanche, la sélection de sept motets en latin reflète un œcuménisme qui sied aux rites tant protestants que catholiques, et qui datent des deux périodes du compositeur, même si les modèles stylistiques ne sont pas étanches. Ainsi, le Benedictus Dominus à la manière polychorale vénitienne, et le motet Ad te levavi oculos meos et sa claire texture en accords, tous deux de la première époque munichoise, préfigurent-ils deux aspects de la future esthétique développée à Stuttgart. 

Pour le Fracta diuturnis, l’interprétation a opté pour une approche en alternatim, mixant plain-chant et polyphonie, ainsi que nous l’explique une notice détaillée et érudite. Un des nombreux gages de l’intelligente approche menée par les chantres de Cinquecento, doublant ici son effectif par cinq invités, pour ces pages de quatre à huit voix. Formée à Vienne en 2004 et fidèle dès son origine aux micros d’Hyperion, l’experte équipe livre ici des lectures bien pensées et sensibles, aussi transparentes que somptueuses, baignées d’une lumineuse et charismatique ferveur, –et captées dans une avenante acoustique. Saluons un collectif d’une rare cohésion, méritant mention spéciale pour les contreténors, qui scintillent dans des tessitures pourtant très périlleuses. Les sévères architectures, certes plus touchantes dans les motets, trouvent ici un parfait avocat pour la réhabilitation de cet attachant compositeur, coincé par la chronologie et la géographie entre deux pairs mieux connus : son mentor Ludwig Senfl puis le célèbre Lassus, qui respectivement le précédèrent et lui succédèrent sous le règne d’Albrecht V. Sans conteste : une parution majeure, et prioritaire pour découvrir Daser !

Son : 9,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9,5 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

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