Mozart, suite d’une intégrale concertante en pépinière : deux grands opus au clavier de Julian Trevelyan

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Next Generation Mozart Soloists vol.4. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concertos pour piano no 23 en la majeur K. 488, no 24 en ut mineur K. 491. Julian Trevelyan, piano. Christian Zacharias, Orchestre symphonique de la Radio de Vienne ORF. Janvier 2022. Livret en allemand, anglais, français. TT 57’07. Alpha 883

Trois concertos pour violon (à l’archet Ludwig Gudim, Ziyu He, Stephen Waarts), le Concerto pour basson (avec Theo Plath), le premier Concerto pour flûte (avec Joséphine Olech), le quatrième pour cor (avec Ivo Dudler) : les trois premières parutions de la collection Next Generation Mozart Soloists entretoisaient aussi trois concertos pour piano de jeunesse, sous les doigts de Can Çakmur, Jeneba Kanneh-Mason et Mélodie Zhao. Autres représentants de cette « nouvelle génération », Roman Borisov, Jonathan Fournel, Filippo Gorini et Aaron Pilsan sont prochainement attendus dans ce cycle. Au total, c’est environ trente-cinq solistes de renommée grandissante qu’entend convier le label Alpha au sein de ce projet né en 2020, qui ambitionne dix-huit albums, principalement dévolus à la baguette d’Howard Griffiths.

Le nouveau volume se consacre entièrement à la concertation avec piano : deux chefs-d’œuvre de la maturité mozartienne (1786), ici servis par Julian Trevelyan, né en 1998 et qui cumule déjà plusieurs prix internationaux, notamment au Concours Long-Thibaud-Crespin à l’âge de seize ans. Pour l’accompagner, un mozartien émérite, du moins au clavier : nul moins que Christian Zacharias qui, en ce répertoire, s’était déjà illustré dans la décennie 1980 chez Emi (avec David Zinman, Neville Marriner, Günter Wand…), avant de graver une impeccable intégrale chez MDG. Plus puissant qu’imaginatif, l’orchestre de la Radio autrichienne est conduit avec autorité (Allegro du K. 491) sans convaincre de ses ressources poétiques (Adagio du K.488, Larghetto de l’Ut Mineur où Julian Trevelyan joue sa propre cadenza). 

Dans cet écrin massif et rigide, le musicien britannique inscrit une interprétation virile, rigoureuse et articulée, qui semble moins chercher la nuance que le sens architectural et l’équilibre des proportions. Dans ce style, pour confronter à quelques grands ainés, on pense aux témoignages de Géza Anda (DG). Pour qualifier la densité de grain et d’idées que sculpte Julian Trevelyan, on citerait volontiers ce qu’André Tubeuf écrivait du Hongrois : « les mains semblent voler, promptes, nettes, plus d’un virtuose de surface pourrait envier leur facilité, mais elles atteignent à la profondeur des touches, elles veulent la profondeur du son ». Au jeu des références, on pense aussi à Alfred Brendel (Philips), ou à un ancien compatriote du jeune soliste anglais : Solomon Cutner (HMV), à une époque où sobriété et aplomb n’allaient pas de soi dans ces pages qu’on vouait à la confiserie.

Dans le K. 488, Andreas Staier optait récemment pour une copie d’un Walter de c1790, Maxim Emelyanychev (Aparté) optait pour la copie d’un Graf de 1823. Le Bösendorfer VC 280, « il chante véritablement ! » émeut András Schiff sur le website de la prestigieuse marque d’origine viennoise. Sur un tel instrument que nous admirons ici, la couleur se veut aristocratique, la clarté d’élocution s’annonce exemplaire, résistant pourtant au lyrisme et plus encore au débord de caractère : la cadence de Hummel dans l’Allegro du K. 491 est de ces rares moments où la prestation fend l’armure. Le finale à variations du même pathétique 24ème concerto ne se gourme pas dans la déréliction morbide mais s’érige comme un glorieux cénotaphe.

En ou hors intégrale, ces deux opus furent enregistrés par les plus grands pianistes. Hier comme aujourd’hui, dans pareil couplage, Clifford Curzon (avec Joseph Krips ou Istvan Kertesz chez Decca) suffirait à notre bonheur. Dans le K. 491, on n’oublie pas Robert Casadesus (avec George Szell à Cleveland, CBS) ni le bouleversant Denis Matthews (Vanguard). On ne fera pas injure à la crédibilité en galvaudant les hiérarchies ni en alléguant que la présente proposition se hisserait au sommet d’une vaste et émérite discographie. Tant au clavier qu’à l’orchestre, l’interprétation solidement arrimée au texte s’avère toutefois cohérente pour son alliance de robustesse, de digne expression et d’objectivation de la pensée mozartienne, exposée à livre ouvert. Quand se referme cet album, qui douterait que Julian Trevelyan est armé pour les ultimes Sonates de Beethoven, ou pour l’envergure des concertos brahmsiens dont il possède l’endurance et les évidents moyens ?

Son : 9 – Livret : 6,5 – Répertoire : 10 – Interprétation : 8

Christophe Steyne

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