Musique de chambre du Polonais Jerzy Fitelberg : premières gravures mondiales
Jerzy Fitelberg (1903-1951) : Suite pour violon et piano ; Prélude pour violon et piano ; Sept Caprices pour violon et piano d’après « Le Tambourin » de Jean-Philippe Rameau ; Concertino da camera pour violon et piano. Marcin Halat, violon ; Aleksandra Halat, piano. 2023. Notice en polonais et en anglais. 62’ 29’’. Dux 2101.
Fils du compositeur polonais d’origine lettone Grzegorz Fitelberg (1879-1953), dont le label Dux a récemment publié la Symphonie n° 1 dont les accents rappellent Richard Strauss et Tchaïkowsky, Jerzy Fitelberg, né à Varsovie, reçoit les premiers enseignements musicaux de son père, avant d’étudier à Berlin, notamment avec Franz Schreker. Dès 1933, il s’installe à Paris, où il fréquente surtout une association de jeunes musiciens polonais ; il est influencé par le néo-classicisme, en particulier par Strawinsky. Son Quatuor n° 2, qui a reçu un prix, est acclamé à Genève. En 1940, il rejoint les États-Unis, dont il prendra la nationalité et où il vivra jusqu’à son décès. La notice, signée par la pianiste Aleksandra Halat, précise que dans sa correspondance adressée à un ami, Fitelberg insistait pour être considéré comme un créateur polonais à part entière, même s’il n’utilisait que peu les références musicales de son pays. Bien qu’apprécié à New York, Il y connut de fréquentes difficultés financières. Disparu à moins de cinquante ans, il laisse un catalogue de pages symphoniques et concertantes et de la musique de chambre dont un éventail est proposé en premières mondiales dans le présent album.
Les œuvres choisies portent témoignage de l’écriture de partitions issues des deux dernières décennies de la vie de Fitelberg. Sa Suite pour violon et piano, dont la première a été donnée Salle Gaveau à Paris le 23 janvier 1934, est en quatre mouvements, dans un esprit qui rappelle le style de la période baroque à travers une ornementation qui se révèle parfois austère. Le dialogue entre les deux instruments est coloré et fait preuve d’une sensibilité qui trouve dans le troisième mouvement, Canzone, un réel épanouissement. Jouée aux USA, cette Suite y fera connaître Fitelberg, avant son installation quelques années plus tard. Un court Prélude pour violon et piano, qui date de 1938 et est lui aussi écrit dans la tradition baroque, avec une structure de sonate, apporte un autre écho de cette période française d’avant-guerre.
Le cycle des Sept Caprices pour violon et piano d’après « Le Tambourin » de Rameau, qui illustre les premières années du séjour américain, se révèle comme le moment le plus attractif de l’album. Il date de l’été 1944 et est dédié à Samuel Dushkin (1891-1976), violoniste américain de descendance polonaise, très réputé pour son investissement dans la musique de son temps. Chaque morceau de cette partition néo-classique, basée sur un rondo, est riche en rythmes nourris par un esprit qui est aussi néo-romantique. La virtuosité se développe dans chaque partie, brève mais dense et diversifiée, avec, pour conclusion, un Lento plus étendu, de belle facture. Un Concertino da camera en trois mouvements, achevé peu de jours avant le décès de Fitelberg, qui l’a dédié à la mémoire de Natalie Koussevitzky, l’épouse du chef d’orchestre, disparue en 1942, complète le programme. Isaac Stern et Alexander Zakin le joueront à New York en 1951. Le style néo-classique est toujours présent, avec des rythmes variés et une attention apportée à la construction de ce petit « concerto » qui fait habilement dialoguer les deux instruments solistes.
Les Polonais Martin et Aleksandra Halat, qui ont tous deux étudié à Katowice et se sont notamment donné pour but de faire connaître les musiciens méconnus et émigrés de leur pays, défendent ces partitions néo-classiques avec conviction, sans toutefois emporter notre totale adhésion quant à la constance de leur intérêt. Leur engagement permet néanmoins de mieux approcher un créateur dont les manuscrits sont conservés outre-mer, et offre l’occasion d’une découverte pour les amateurs de pages méconnues.
Son : 8,5 Notice : 10 Répertoire : 8 Interprétation : 9
Jean Lacroix