Nous avons fait un beau voyage...

par

© E. Careggio

avec Reynaldo Hahn et Ciboulette
Créée en 1923 au Théâtre des Variétés (Paris), Ciboulette appartient à la dernière période de l’opérette véritablement française, alors que celle-ci était submergée par la vague d’Outre-Atlantique et la comédie musicale de Maurice Yvain et d’Henri Christiné. Reynaldo Hahn qui signait ici sa première partition du genre, renouait pleinement avec la tradition de ses maîtres, Massenet et Saint-Saëns. Il allait d’ailleurs poursuivre cette veine avec Mozart, Brummel, ou Ô mon bel inconnu. Derniers feux peut-être, mais feux brillants tout autant que charmants, dans la lignée de son aîné André Messager ou du bien oublié Louis Beydts. Le livret de Flers et Croisset est amusant et émouvant à la fois: il relate l’ascension d’une jolie maraîchère des Halles et sa rencontre avec un aristocrate désoeuvré, sous l’oeil attendri d’un certain M. Duparquet qui se révélera le Rodolphe de La Bohème (le personnage évoque un peu le chevalier Des Grieux dans Le Portrait de Manon, de Massenet). Intrigue légère donc mais excellente. Il s’agit d’une opérette sans doute, mais elle est bien proche de l’opéra-comique: “L’opérette est un opéra-comique plus léger comme sujet et comme musique, et dans lequel on admet plus de laisser-aller dans le ton, plus de fantaisie, et pour tout dire, plus de débraillé” écrivait le compositeur. La frontière est ténue en effet et la partition trouve tout à fait sa place salle Favart. Elle regorge de pages célèbres : “Moi, je m’appelle Ciboulette”, “Nous avons fait un beau voyage”, “Ah si j’étais Nicolas” ou le finale endiablé du premier acte, variant “Il court il court, le furet”. La réussite d’une telle production se mesure à la délicatesse d’approche tant scénique que musicale. Succès complet de l’équipe de Jérôme Deschamps (lequel intervient d’ailleurs en tant que …directeur d’opéra !). Mise en scène classique de Michel Fau, lequel intervient également en …comtesse de Castiglione, dans un prélude du III désopilant, sur la musique de film de La Dame aux camelias (de Reynaldo Hahn, rassurez-vous). Décors représentant les Halles, bien sûr, très joliment suggérés, ou la petite place d’Aubervilliers, tous deux enjolivés par les lumières douces et enveloppantes de Joël Fabing: un ravissement! L’opérette requiert des chanteurs-acteurs éprouvés, ne fût-ce que pour habiter les nombreux dialogues. Chapeau à tous les artistes qui se sont parfaitement tirés de cette épreuve redoutable, et avant tout à la titulaire du rôle principal, Julie Fuchs, minois adorable et talent avéré de comédienne, dès sa spectaculaire arrivée, juchée sur un âne. La voix est fraîche et le timbre séduisant, même si, dans quelques ensembles, la puissance n’était pas toujours au rendez-vous. Elle était tout à fait cette “Lulu d’opérette, qui trouble tout le monde sans se rendre bien compte de ce qu’elle déclenche” (M. Fau). Une belle performance. Julien Behr n’a pas incarné un Antonin benêt, mais fragile et amoureux : la voix est exquise. Le Duparquet tendre et émouvant de Jean-François Lapointe était évidemment parfait, venant d’un artiste aussi confirmé. Et son air (parlé sur fond musical) où il rappelle son aventure avec Mimi a noué la gorge de nombreux spectateurs. Les autres rôles étaient interprétés par des membres de l’Académie de l’Opéra-Comique, cette école inaugurée par Favart afin d’approfondir son répertoire spécifique. Citons Eva Ganizate, Ronan Debois, Cécille Achille, François Rougier, Safir Behloul et surtout Patrick Kabongo Mubenga qui campa un inénarrable Victor tout au long de la représentation. N’oublions pas l’amusante participation de Bernadette Lafont en Madame Pingret, laquelle prédira fort justement l’avenir de Ciboulette. Tant le choeur Accentus que l’orchestre symphonique de l’Opéra de Toulon, dirigés par Laurence Equilbey, ont donné le meilleur d’eux-mêmes, participant pleinement à la fête, tout comme le (très) nombreux public appelé à chanter par deux fois pour son plus grand plaisir. Dernier point: bravo pour le programme de salle, particulièrement bien conçu, agencé et rédigé. Un grand succès.
Bruno Peeters
Opéra-Comique, le 22 février 2013

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