Offrande musicale, par Sigiswald Kuijken, qui souffle aujourd’hui 81 bougies
Solo. Diego Ortiz (1510-1570) : Recercadas. Thomas Baltzar (c1631-1663) : Prélude en sol majeur. Allemande en ut mineur. Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) : Passacaglia [Sonate du Rosaire 16]. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Bourrées, Sarabande, Gigue [Sonate pour violoncelle no 3 BWV 1009]. Allemande [arrgmt Sonate pour violoncelle no 2 BWV 1008]. Allemande, Corrente, Sarabande [Partita pour violon no 2 BWV 1004]. Carl Friedrich Abel (1723-1787) : Sonate en sol majeur AbelWV A3. Sigiswald Kuijken, violon, viole de gambe, violoncello da spalla, clavicorde. Livret en anglais, français, allemand. Juin 2023. TT 58’07’’. Accent ACC 24400
Une attachante parution, s’inscrivant dans la discographie d’un artiste qui a enregistré ses premiers témoignages voilà quelque six décennies ! À l’approche de son quatre-vingtième anniversaire, advenu le 16 février de l’an dernier, Sigiswald Kuijken entendait faire le point, comme il nous l’explique dans le livret, et exprimer sa reconnaissance : « la beauté et la musique que j’aime ont joué dans ma vie un rôle majeur et je continuerai tant que mes forces le permettront ». Proposé comme « mes vœux personnels venus du cœur », cet album honore ses multiples talents d’instrumentistes, au travers d’un parcours chronologique, qui nous mène de la Renaissance jusqu’au crépuscule baroque.
La viole introduit et clôt ce récital, depuis quatre Recercadas de Diego Ortiz jusqu’à une gracieuse Sonate d’Abel, un des derniers gambistes de l’époque. Entre ces bornes, le violon illustre les prémices du jeu polyphonique déployé en solo, par deux pages de Thomas Baltzar, un Lübeckois qui fit carrière à Londres, et par l’emblématique Passacaille de Biber. Trois mouvements de la seconde Partita de Bach sont aussi au menu. Sigiswald Kuijken nous offre encore trois extraits de la Suite en ut majeur BWV 1009 qu’il exécute sur violoncello da spalla qui comme son nom l’indique doit être porté sanglé autour du cou, reposant sur l’épaule. Un cordophone dont il a contribué à la redécouverte, et sur lequel il avait déjà gravé ces Suites, pour le label Accent en 2007. Pour quelques rappels historiques et précisions organologiques, on pourra consulter nos colonnes de septembre 2020, commentant l’intégrale de Sergey Malov.
En complément, l’Allemande de la Suite BWV 1008, transposée en sol mineur et jouée… au clavicorde. Clin d’œil au Cantor de Leipzig, qui ne se privait pas d’aborder ses propres œuvres sur les claviers dont il disposait au foyer familial. Ici sur un modèle du facteur Joris Potvlieghe, sachant que les trois autres instruments à archets ici entendus sont des originaux : violon milanais, viole attribuée à Pierre Prévost (1634). Et violoncello da spalla issu d’ateliers allemands, milieu du XVIIIe siècle, dont le maniement a tendance à lester les élans des danses vives comme les Bourrées ou la Gigue. On ne comparera non plus la conduite de la Passacaille ou de la Courante aux démonstrations les plus maîtrisées, avenantes ou véloces.
Tant c’est plutôt l’intériorité qui anime ces phrasés philosophes et qui, en vertu du contexte biographique de ce projet-bilan, mais aussi pour la sagesse des interprétations, transmet une indéniable émotion à l’auditeur. Regard rétrospectif, mais peut-être aussi prospectif comme l’ambitionne malicieusement la notice, évoquant cette beauté qui « se révèle des tréfonds mystérieux de notre conscience ». Une certaine aune, fascinée, de ce qui nous dépasse, nous préexiste et nous survit. Par-delà le grand âge, la candeur émerveillée d’une éternelle jeunesse. On pense à cette frimousse, l’oreille collée à une conque, sur la couverture du magnifique ouvrage de Christian Bobin et Édouard Boubat (Gallimard), si poétiquement titré : « donne-moi quelque chose qui ne meure pas ».
Christophe Steyne
Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire & interprétation : 8,5
Sigiswald Kuijken