Ouverture du festival Saint-Michel-en-Thiérache

par

Aux frontières belges, l’abbaye de Saint-Michel-en-Thiérache accueille, du 2 au 30 juin, la 38e édition de son festival. Dédiée à la musique ancienne et baroque, la manifestation propose chaque dimanche deux ou trois concerts sous un thème spécifique. En ouverture du festival, les deux concerts du 2 juin dernier exprimaient « les voix de la nature ».

Dans la matinée, la quintessence du sentiment de la nature est magnifiée à travers des madrigaux Mormorii e sospiri de Monteverdi, par un ensemble espagnol Cantoria. Puis, dans l’après-midi, Christina Pluhar et L’Arpeggiata présentent leur nouveau programme « Terra mater » avec des œuvres de divers compositeurs des XVIe et XVIIIe siècles.

Le jeune quatuor vocal Cantoria est venu dans un effectif élargi, renforcé de deux voix et d’une basse continue. Et il n’est pas dans son répertoire habituel, qui est la polyphonie vocale de la Renaissance ibérique. C’est même la première fois que les musiciens présentent des pièces de Monteverdi en concert ! Des extraits choisis à partir de différents livres de madrigaux parlent de la tranquillité d’esprit et d’état méditatif, de la joie et de la douleur d’amour, à travers des oiseaux, des étoiles, d’eau, des feuilles… Les voix y sont toujours accompagnées d’instruments, y compris les pièces d’avant le cinquième livre où on voit justement l’apparition de la basse continue. Parmi les chanteurs, les sopranos Inés Alonso et Marta Redaelli, l’alto Oriol Guimerà et la basse Victor Cruz impressionnent par leurs timbres riches et par une expressivité qui leur est propre. Leurs chants incarnent différents affects avec intensité. La justesse et l’incarnation des deux sopranos sont à couper le souffle, si bien que le temps est suspendu dans l’église abbatiale. Lorsque Victor Cruz s’aventure dans les aigus inhabituels pour sa tessiture, la concentration vocale rend l’expression plus vive et l’auditoire est littéralement captivé. Le programme est complété de quelques pièces instrumentales d’autres compositeurs contemporains de Monteverdi (Uccellini, Falconieri et Merula), diversifiant encore davantage le plaisir de la musique. 

L’abbaye de Saint-Michel-en-Thiérache est non seulement un lieu privilégié d’un concert, mais aussi un lieu d’enregistrement très demandé pour son excellente acoustique et un lieu de résidence. L’Arpeggiata était déjà en résidence avant le concert du 2 juin, et les musiciens allaient y enregistrer dans les jours suivants un nouveau disque avec le programme conçu par la cheffe et luthiste et présenté pour la première fois au public lors du Festival. Cet hymne à la nature, avec la soprano suédoise Malena Ernman, est aussi un concours de chant de divers animaux : oiseau (rossignol, coucou, poule), grenouille, souris… Comme à l’accoutumée dans des programmes de cet ensemble, le choix des pièces et leur enchaînement relèvent d’un véritable art. Une connaissance profonde des répertoires, l’enchainement si minutieusement travaillé qu’il paraît le plus naturel du monde, une touche d’humour (le corniste à bouquin Daron Sherwin en a beaucoup !)… Voilà les ingrédients principaux de cette pure merveille. Avec sa voix souple et large, parfois légèrement voilée, Malena Ernman raconte une histoire dans chaque pièce. Si elle nous régale avec Crude furie degli orridi abissi (Serse) de Haendel à la fin du concert, son excellent talent de conteuse amuse l’audience lorsqu’il s’agit d’airs traditionnels, notamment dans The Taylor and the Mouse. Un autre amusement, celui de Daron Sherwin qui délaisse son instrument pour prêter sa voix en écho à la soprano dans The Fog and the Mouse. Son intervention jazzy en introduisant même des fragments de variétés de nos jours attise la curiosité dans la salle. Quant à la violoniste Margherita Pupulin, elle montre son talent de claquetteuse en marquant le rythme des pieds, tout en jouant de son instrument. Pour la partie instrumentale, l’Aria da suonare de Giulio Taglietti, que la violoncelliste Hanna Salzenstein avait révélé au public au début de l’année dans son disque, est déjà repris dans ce concert. La belle musique n’attend donc pas de s’affirmer dans sa beauté !

Festival de Saint-Michel en Thiérache, le 2 juin 2024.

Victoria Okada

Photo : Cantoria © Robert Lefèvre / L’Arpeggiata © Victoria Okada 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.