Pages sacrées de Frank Martin et Maurice Duruflé : sérénité et fluidité
Frank Martin (1890-1974) : Messe pour double chœur a cappella ; Maurice Duruflé (1902-1986) : Requiem op. 9. Juliette Mey, mezzo-soprano ; Alain Buet, baryton ; Jérôme Cuvillier, violoncelle ; William Fielding, orgue ; La Maîtrise de Toulouse, direction Mark Opstad. 2022. Notice en français et en anglais. Textes sacrés en latin, en français et en anglais. 67.08. Regent REGCD557.
Fondée en 2006 au sein du Conservatoire du chef-lieu de la région Occitanie, la Maîtrise de Toulouse est dirigée depuis sa création par le chef de chœur anglo-français Mark Opstad (°1978). Constituée d’élèves collégiens, de lycéennes et de voix d’hommes, qui sont souvent d’anciens maîtrisiens, elle compte à son actif, sous le label Regent Records, à raison d’un enregistrement tous les deux ans, quelques albums de qualité : Messes brèves, Motets français, Musique pour les funérailles royales espagnoles, Noëls français. La présente gravure, réalisée en avril 2022, propose un couplage équilibré qui réunit le Suisse Frank Martin et le Normand Maurice Duruflé.
La notice, signée par Mark Opstad, signale que la Messe pour double chœur a cappella de Frank Martin est demeurée dans l’ombre près de quatre décennies. Ecrite entre 1922 et 1926, elle n’a été créée qu’en 1963 ; jusque-là, le compositeur ne souhaitait pas sa divulgation, craignant qu’on la juge d’un point de vue tout esthétique et considérant que c’était une affaire entre Dieu et lui. Inspirée, elle soulève un intérêt particulier, car ce type de pièce est peu fréquent au XXe siècle. The Sixteen (Coro), The Choir of King’s College of London (Delphia) ou le RIAS Kammerchor (Harmonia Mundi) en ont notamment laissé de belles gravures. Celle de la Maîtrise de Toulouse vient s’ajouter avec bonheur à la discographie.
Les possibilités chorales sont magnifiquement exploitées mais également efficacement contrastées avec l’écriture homophonique unissant les deux chœurs, ajoute Mark Opstad. Les cinq parties, qui se déroulent dans un climat d’opposition subtile et souple et se partagent dans le Kyrie, le Gloria et l’Agnus Dei entre douceur et puissance, sont nourries par une technique d’écriture qui allie la variété de la ligne mélodique et la richesse de l’harmonie. L’auditeur est vite envoûté par la clarté du chant de la Maîtrise de Toulouse, la fraîcheur de ses voix et l’équilibre qui s’établit au sein d’un univers servi avec une pudique ferveur.
C’est la version avec orgue seul, publiée en 1961, du Requiem de Duruflé, marqué par une empreinte fauréenne, qui complète le programme ; c’est un choix intelligent. La notice cite une lettre du compositeur qui, après l’enregistrement du St John’s College de Cambridge avec Georges Guest, paru dans les années 1970 chez Decca, appréciait une interprétation par des voix jeunes. Les qualités de cette partition bâtie sur des mélodies grégoriennes sont connues : réserve, sérénité, consolation, équilibre entre la douleur et l’apaisement. Une ferveur, tout aussi assumée que chez Frank Martin, permet d’apprécier le raffinement et la fluidité de la maîtrise toulousaine qui se place tout près des Vasari Singers de Jeremy Backhouse (Signum) ou de l’Ensemble vocal Les Éléments (Hortus).
Le jeune organiste anglais William Fielding se révèle un partenaire aérien, qui sait distiller les nuances. Le Pie Jesu est dévolu à la mezzo-soprano Juliette Mey, qui a entamé sa formation lyrique dans la Maîtrise de Toulouse et étudie actuellement au Conservatoire National Supérieur de Paris. Elle dialogue, dans un climat d’infinie délicatesse, avec le violoncelliste Jérôme Cuvillier, qui a été son professeur pendant plus de dix ans. Le baryton Alain Buet, qui enseigne le chant à Paris, est en charge du Domine, Jesu Christe et du Libera me. On est touché par son engagement et par son émotion contenue.
Une double réussite à ajouter à la discographie de la Maîtrise de Toulouse.
Son : 8 Notice : 8 Répertoire : 10 Interprétation : 9
Jean Lacroix
Jean Lacroix