Paysage de COVID : espoirs, polémiques, craintes, vers un état d’urgence culturel ? 

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L’été est enfin arrivé, les concerts ont pu reprendre, même sous une forme sanitairement compatible, et certains festivals se maintenus avec parfois un élan total de créativité à l’image du drive-in musical du Festival de Namur. Mais le temps reste aux incertitudes.
Des signaux contradictoires arrivent de partout, y compris des annulations de saisons entières comme en Amérique du Nord. La rentrée s’annonce incertaine, les concerts prévus jusqu’en décembre sont de plus en plus revus sous des formes chambristes ou en petits effectifs alors que certaines grosses institutions belges n’ont toujours pas annoncé leurs nouvelles saisons. Tout le monde craint une nouvelle vague de contaminations et les lockdowns même partiels et régionaux qui risquent de l’accompagner. Sans oublier que, par ricochet, c’est toute la filière qui sera impactée : baisse de recettes des salles, précarisation des artistes et surtout des jeunes, marché du disque anémié par le confinement. Quant au « tout au numérique gratuit » pratiqué intensément depuis le mois de mars, il suscite plus de questionnements qu’il n’offre de réponses crédibles et de pistes pour le futur. Le paysage post-Covid est un champ de ruines qu’il faut reconstruire dans un contexte très difficile.   

En Belgique, la Chambre a enfin validé l’aide d’urgence aux artistes. Le vote intervenu tard dans la nuit de jeudi à vendredi dernier aura été l’aboutissement d’un long cheminement qui s’est heurté à une farouche opposition de certains partis régionaux. Comme nous l'écrivions dans un précédent éditorial, alors que le rayonnement international de la Belgique repose largement sur le succès de ses artistes (et encore plus en Flandre), il est regrettable que le monde de la Culture ne soit toujours pas entendu et écouté au niveau national comme un secteur central de l’économie, tant comme générateur de richesse que comme vecteur d’exportation. Il est dès lors souhaitable que la large et tenace mobilisation des artistes, via leurs fédérations professionnelles, se poursuive par un lobbying et des actions intensives pour faire reconnaître la culture à la juste valeur de son poids économique.

Outre-Quiévrain, la polémique autour des frères Gautier et Renaud Capuçon est absolument consternante. Alimentée depuis la fin du printemps par quelques marginaux du milieu musical, elle donne une image aussi déplorable que profondément injuste envers ces deux musiciens majeurs de la scène internationale, sans oublier qu’elle méprise le public qui les aime. Attaquer bassement au lieu de s'enorgueillir d’avoir, sur la scène hexagonale, deux personnalités brillantes et charismatiques est déplorable. De plus, il faut constater qu’un des groupuscules à l’origine de cette violente attaque en piqué promeut un néocommunisme comme vecteur du monde d’après. On a connu mieux comme vision d’avenir !         

Le vendredi 10 juillet a vu la publication en France de l’étude décennale du Ministère de la Culture sur les habitudes des Français. Travail de longue haleine, elle présente un passionnant et unique panorama des pratiques culturelles. Hélas, la musique classique en sort éreintée. On apprend ainsi qu’en 2018, seuls 6% des sondés se sont rendus à un concert de musique classique (contre 9% en 1997).  Par ailleurs 2% des 15-28 ans ont été les spectateurs d’un concert de musique classique. Le Monde, qui publie les bonnes feuilles de cette étude dans son édition du 11 juillet, signale qu’il s’agit d’un seuil historiquement bas, renforcé par une  fracture sociale entre un public urbain et diplômé et les autres catégories sociales. L’étude nous apprend aussi que les pratiques « amateurs » sont en voie d'essoufflement : 39 % des Français disent pratiquer en amateur la musique, le chant, l’écriture, la peinture, la poterie, le théâtre ou la photographie, alors qu’ils étaient 50 % en 2008. Quand on sait l’importance d’une pratique artistique familiale pour contribuer à sa transmission, il y a de quoi être très inquiet, d’autant plus que les jeunes d’aujourd’hui sont les parents et décideurs politiques de demain ! Le foyer familial reste, bien avant l’école, le creuset de la découverte culturelle. Cette étude sort au moment même où la musique classique se trouve prise à partie dans des revendications sociétales où on lui reproche d’être “trop blanche” et pas assez “inclusive”, un article du New-York Times lui ayant même reproché d’être “raciste” ! 

Dès lors, c’est un état d’urgence qu’il faut au monde musical. Ce dernier doit prendre à bras le corps de nombreux enjeux car, isolée et esseulée, la musique classique risque d’être une cible facile, voire même un symbole à abattre. Certes, l’étude sur les pratiques culturelles montre que le gouffre se creuse également pour la lecture, le théâtre et la danse, mais le classique est de loin le malade le plus grave. 

Dans ce contexte interpellant, les polémiques stériles et les attaques ad-hominem contre des personnalités du milieu musical qui offrent au classique l’une de ses rares visibilités médiatiques en dehors des canaux spécialisés sont hors de propos. 

Certes, depuis plusieurs siècles, la musique classique a survécu à des crises et à des guerres, mais il ne faut pas se leurrer, la situation est très inquiétante et le redéploiement des institutions musicales et des musiciens doit s’orienter impérativement vers la conquête des publics (et pas seulement avec/par des concerts pédagogiques pour les enfants), et cela sans sacrifier l’ambition artistique. Il va falloir allier créativité et imagination dans un contexte budgétaire tendu.   

Pierre-Jean Tribot

      

 

   

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