Peter Donohoe complète brillamment son intégrale des chansons sans paroles de Mendelssohn

Felix Mendelssohn (1809-1847) : Lieder ohne Worte, volume 2. 17 Variations sérieuses op. 54 ; Lieder ohne Worte : Livre I op. 19 b n° 5 et 6 ; Livre II op. 30 n° 1, 2, 5 et 6 ; Livre III op. 38 n° 1, 3, 4 et 5 ; Livre IV op. 53 n° 1, 3 et 6 ; Livre V op. 67 n° 6 ; Livre VI op. 102 n° 3, 4 et 5 ; Phantasie op. 15 ; Scherzo du « Songe d’une nuit d’été », transcription de Serge Rachmaninov. Peter Donohoe, piano. 2021/22. Notice en anglais, en allemand et en français. 81.26. Chandos CHAN 20267.
Nous l’attendions, dans l’espoir d’éprouver le même bonheur d’écoute que celui procuré par le volume 1 de ces Chansons sans paroles dont nous avions salué, le 22 janvier 2022, « la quintessence de la pureté mendelssohnienne ». Il est là, ce second volume, et à nouveau il nous fait rendre les armes face à cette autre sélection opérée par le virtuose anglais Peter Donohoe (°1953), qui vient confirmer que la promenade dans ces six Livres est passionnante, au gré de la sensibilité de l’interprète et de la séduction qui lie chacune de ces pièces.
Le programme s’ouvre, avant les Lieder, par une page de 1841, les Variations sérieuses, dont la profondeur et les contrastes expressifs les font considérer avec raison comme le chef-d’œuvre pianistique de Mendelssohn. Celui-ci atteint une sorte de perfection stylistique à travers ces 17 variations, contribution à l’album « Monument à Beethoven » pour les 75 ans du Maître de Bonn, auquel ont aussi participé Liszt, Chopin et Czerny. Donohoe en propose une version somptueuse, en faisant monter la tension de manière progressive et en soulignant la grandeur qui envahit les dernières variations dont il porte le message à incandescence, grâce à un final éblouissant.
Après ce moment grandiose, on retrouve, dès le Lied ohne Worte op. 38 n° 3, les caractéristiques que nous avions mises en évidence dans le volume 1, à savoir une unité d’esprit et d’inspiration qui, dès ce Presto e molto vivace, imprime sa marque, entre fougue et chant chaleureux. Les autres pièces suivent, dans un ordonnancement qui ne relève pas de l’acte gratuit ni de la fantaisie, mais de la réflexion de Peter Donohoe quant à la construction de son album. Qu’il s’agisse de l’opus 30 n° 1, Andante espressivo, dont le pianiste évite le piège du sentimentalisme, de l’opus 53 n° 3, Presto agitato « Gondellied », avec ses doubles croches endiablées, de l’opus 62 n° 2, Allegro con fuoco, qui s’assimile à une joyeuse chevauchée, ou de l’opus 85 n° 1, Andante espressivo, qui déborde de lyrisme, tout apparaît comme marqué par l’évidence, en raison de la justesse du tempo choisi et de la chaleur qui se dégage des doigts du pianiste qui donne souvent l’impression d’improviser. On peut appliquer à chaque lied le même éloge qui tient à la fois du charme distillé et de l’enthousiasme qui a guidé l’interprète dans son parcours. On lira à cet égard le texte édifiant que Donohoe signe dans la notice ; il raconte qu’il a été très jeune inspiré par la nature extatique constante de la musique de Mendelssohn. Ici, l’extase prend la forme d’une complète complicité.
Ce copieux programme, qui dépasse les 80 minutes, est complété par la Phantasie op. 15 de 1827 qui s’inspire d’une mélodie folklorique irlandaise du poème The Last Rose of Summer de Thomas Moore (1779-1852), très populaire dans le premier quart du XIXe siècle. Cette fantaisie dont l’esprit rappelle Mozart et Beethoven est, comme le précise Donohoe lui-même, une pièce étrange, mais magnifique, sans forme apparente. Elle prolonge avec charme la série des Lieder ohne Worte, avant que la transcription du Scherzo du « Songe d’une nuit d’été », réalisée en 1933 par Serge Rachmaninov, ne vienne mettre un point féerique à ce panorama mendelssohnien.
Servi par une prise de son superlative, cet admirable deuxième volume des Chansons sans paroles confirme la pleine réussite du précédent. Sa place est désormais au tout premier rang des versions à thésauriser.
Son : 10 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix