Rusalka d’Antonín Dvořák au Národní divadlo de Brno
Rusalka encore ! Après un long purgatoire, cet opéra est dorénavant souvent programmé, comme à l’Opéra royal de Wallonie-Liège en janvier dernier par exemple. Une présence bienvenue, musicale toujours, vocale le plus souvent, scénique aussi comme cette fois-ci à Brno.
Il est vrai que son livret est inspiré d’un conte que l’on retrouve un peu partout en Europe sous divers prénoms : « Rusalka », « Ondine », « Mélusine ». La petite nymphe des eaux qui, follement éprise d’un beau prince venant régulièrement se baigner dans ses eaux, veut devenir humaine afin de pouvoir enfin l’étreindre « pour de vrai ». Oui, malgré la douleur d’Ondin, l’Esprit des eaux, et grâce à l’intervention de la sorcière Jezibaba, elle le pourra. Mais à un prix terrible : elle deviendra muette et son histoire amoureuse, si elle se termine mal, coûtera la vie au bien-aimé. Le prince va vite se lasser ; une belle princesse étrangère va vite s’en mêler ; Rusalka, désespérée, rejoindra ses eaux originelles. Mais le prince, ayant finalement tout compris, la rejoindra pour un baiser final fatal.
Beaucoup d’émotions donc qui justifient la fascination pour le conte. Mais aussi et surtout, et c’est cela qui nous intéresse, beaucoup d’émotions merveilleusement mises en musique et en voix par Antonín Dvořák. Une partition aux atmosphères envoûtantes, que ses thèmes récurrents magnifient. Avec aussi de si délicates interventions instrumentales solistes (harpe, hautbois, flûtes, cordes) qui disent à leur façon ce que les airs et les mots chantent. Cette musique-là n’accompagne pas, elle est personnage elle aussi.
A Brno, en Tchéquie, elle est idéalement exprimée par des musiciens dont c’est « la langue natale », ils « parlent le Dvořák ». Et cette partition, que j’ai eu le bonheur d’entendre récemment ailleurs, sonne autrement. Idéalement accomplie par la magnifique acoustique du Théâtre Janáček Et surtout dirigée comme il convient par le chef d’orchestre des lieux, Marko Ivanović. L’orchestre et son chef s’entendent manifestement bien.
Dans la mise en scène de David Radok, pas de folklore insistant, pas « d’inventivité signifiante ». Je me souviens d’une Jezibaba plus que sorcière de contes de fées ou d’un royaume des eaux devenu un royaume des égouts ! Non, lui, c’est le drame qui l’a motivé. Il le focalise sur l’essentiel, éliminant d’ailleurs les personnages du Garde forestier et du Garçon de cuisine. Peu de couleurs dans sa mise en scène, le gris et le noir dominent, sinon la robe et le costume blancs de la noce qui ne se fera pas. « Rusalka », c’est une histoire de fatalité annoncée. Ježibaba – Václava Krejčí Housková - n’est plus une sorcière, elle est devenue comme l’agent hiératique du destin. Elle sait, elle annonce, elle est porteuse d’une fatalité venue d’ailleurs : malheur à qui porte atteinte à l’ordre des choses. Quelle que soit la rédemption amoureuse finale.
Quant à Rusalka, Jana Šrejma Kačírková en exprime bellement toute l’énergie amoureuse, toute l’énergie désespérée, toute l’énergie fatalement rassérénée. Elle impose son chant dans ses multiples tonalités. L’Ondin, Jan St’ava, a lui aussi bien compris ce qui va advenir, et il est davantage réservé qu’empathique. Le Prince, Peter Berger, est d’abord « léger », saisissant « l’occasion inattendue » qui se présente, mais vite lassé, avant d’enfin comprendre ce qui s’est joué, ce qui se joue et ce qui va et doit advenir. La Princesse étrangère, Eliška Gattringerová
, à toutes les apparences et la voix si dure de la séductrice sans pitié. Les trois nymphes des eaux (Doubravka Součková , Ivana Pavlů, Monika Jägerova) commentent, appréhendent et compatissent ; un peu comme le chasseur, Tadeáš Hoza.
Je ferai une mention particulière du Chœur imposant de l’Opéra Janáček, très présent vocalement, mais que le metteur en scène fait évoluer dans toute la profondeur – immense – du plateau de Brno. Cela donne une grande amplitude aux scènes « sur la terre ». Ajoutons, avec le sourire, que tous ces choristes-là savent danser et bien danser la valse. Pas sûr qu’à Liège, Bruxelles ou Paris, on aurait pareil ensemble harmonieux « en trois temps ». Une question de culture « populaire » préservée.
Brno, Národní divadlo, 25 mai 2025
Stéphane Gilbart.
Crédits photographiques : Národní divadlo Brno