Sol Gabetta et Mikko Franck dans leurs jardins à Radio France 

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Heureux les mélomanes parisiens amateurs de la musique concertante d’Elgar, qui ont eu l’occasion, en deux soirées consécutives, d’en écouter les deux Concertos, joués par deux des musiciennes les plus accomplies de la scène internationale actuelle. Après la violoniste norvégienne Vilde Frang à La Seine Musicale, c’était au tour de la violoncelliste argentine Sol Gabetta à la Maison de la Radio et de la Musique.

Certes, il y a une mauvaise nouvelle à la clé : la défection d’Hilary Hahn, qui a été contrainte, pour raison de santé (un double nerf pincé qui la fait souffrir depuis quelques mois, et qui est en bonne voie de guérison à condition qu’elle continue de s’économiser), d’annuler sa participation. Elle devait jouer le Concerto pour violon de Tchaïkovski, et à en juger par sa prestation dans cette œuvre à la Philharmonie, en 2017, cela aurait été certainement un grand moment de violon. Nous lui souhaitons le meilleur, et surtout le plus durable rétablissement possible.

C’est donc Sol Gabetta qui a accepté de la remplacer, pour ce concert mais aussi pour toute la tournée qui suivait dès le lendemain, avec cinq concerts consécutifs en Allemagne, au Luxembourg, en Belgique et en Hongrie avec, forcément, également un changement de programme. À noter qu’elle alternera les Concertos d’Elgar et de Lalo.

Sol Gabetta est une fidèle de Radio France. Elle avait notamment été artiste en résidence dans cette maison il y a trois saisons, et il y a quelques semaines elle jouait précisément ce Concerto de Lalo, dans le cadre d’une tournée en Espagne, également avec l’Orchestre Philharmonique sous la direction de Mikko Franck. C’est dire s’ils se connaissent bien. Et cela s’est affirmé avec éclat lors de ce concert.

Mais avant, il y avait l’ouverture de Béatrice et Bénédict, un opéra d’Hector Berlioz inspiré par Shakespeare. Ce n’est peut-être pas la pièce orchestrale la plus personnelle de ce compositeur, mais elle est parfaite pour lancer le sacro-saint programme ouverture-concerto-symphonie. Mikko Franck la dirige avec grande élégance, loin de toute démonstration orchestrale ou de caricature, et déjà nous entendons les prémisses de la Symphonie de la seconde partie.

Puis place au Concerto pour violoncelle d’Edward Elgar. Nous le savions depuis ses deux enregistrements de 2009 (en studio) et de 2014 (en concert), la vision de Sol Gabetta est radicalement différente de celle de Jacqueline Du Pré, à qui l’on doit la redécouverte de cette presque ultime œuvre du compositeur anglais, et qui donnait l’impression de jouer sa vie en l’interprétant. Si notre soliste argentine s’engage tout autant que son aînée britannique, son entrée dans le premier mouvement nous confirme qu’elle en a une lecture beaucoup plus intime, moins extravertie, à l’unisson avec la direction de Mikko Franck.

Dans l’Allegro molto qui s’enchaîne, elle fait preuve d’une virtuosité époustouflante, sans rien d’un numéro de cirque pour autant. Elle trouve une palette de couleurs d’une grande richesse, jouant et se jouant avec un plaisir non dissimulé des différents modes de jeu.

Contrairement à ce que dit le texte de présentation du programme, seuls les deux premiers mouvements de ce Concerto se succèdent sans interruption. Dans le troisième, Adagio, Sol Gabetta montre à quel point elle est une immense musicienne : vibrato contenu, glissades limitées, tout cela à la fois sobre et varié. Du grand art.

Quant au finale, on se demande si la braise qui couve va prendre feu... Mais non, il se transforme plutôt en un vent printanier vivifiant. Rarement avons-nous vu une soliste manifester aussi ostensiblement son bonheur de jouer, se tournant vers les musiciens, vers le chef d’orchestre, qui lui rend ses sourires dans un partage sans retenue. Sol Gabetta, portée par Mikko Franck et l’Orchestre Philharmonique de Radio-France, aura été magnétique de bout en bout.

En bis, elle nous offre la courte pièce Flamenco, extraite de la Suite espagnole pour violoncelle seul N° 1, du compositeur et violoncelliste catalan Rogelio Huguet y Tagell (1882-1956). Elle y excelle, se transformant de façon complètement convaincante en chanteuse et en guitariste de flamenco, sans aucune retenue !

En seconde partie, la Symphonie évoquée au début de cette chronique, d’un quart de siècle postérieure à Béatrice et Bénédict est celle de César Franck. Sans doute pas seulement pour des questions d’homonymie, Mikko Franck entretient avec elle un lien particulier, et raconte que depuis qu’il est enfant il rêve de l’enregistrer. Ce rêve est devenu réalité, en 2018, avec ce même orchestre et dans ce même lieu (album -qui comprend également le poème symphonique Ce qu’on entendu sur la montage- intitulé... « Franck by Franck »).

Son introduction est particulièrement ample, et la sonorité qu’il obtient nous rappelle que le compositeur était organiste. L’Allegro, lui, est éclatant, sans brutalité, et fait penser plus d’une fois à du métal en fusion. Dans les tutti, l’équilibre entre les 12 cuivres et les 60 instruments à cordes est optimal. Si le niveau d’intensité de la musique elle-même n’est pas constant, cette interprétation permet au récit de ne jamais retomber.

L’Allegretto (au tempo allant, comme il se doit) commence avec des pizz qui impressionnent par leur densité, sans être lourds pour autant. Au-dessus, le cor anglais de Stéphane Suchanek plane souverainement. Quelques passages virevoltants font le lien avec le début du concert, et rappellent l’écriture ciselée de Berlioz. S’il y a bien quelques longueurs dans ce mouvement, nous nous garderons d’attribuer à Mikko ce qui appartient à César...

Quant au finale, il est plein d’une impérieuse énergie intérieure, avec notamment des cuivres qui swinguent presque. Mikko Franck se déplace devant sa chaise, prenant à partie les différents pupitres de cordes qui se trouvent à sa portée, mais aussi le public. Pas de doute : il est chez lui, dans sa maison, avec son orchestre et sa musique. Les nombreux changements d’atmosphère sont superbement amenés, et rarement cette Symphonie aura donné autant cette impression d’un tout organique.

Paris, Auditorium de Radio France, 18 octobre 2024

Mots-clés : Sol Gabetta, Mikko Franck

Pierre Carrive

Crédits photographiques :  Christophe Abramowitz / Radio France

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