Sylvain Cambreling, itinéraires passionnés d’un musicien 

par

Oeuvres d’Hector Berlioz (1803-1869), Claude Debussy (1862-1918), Maurice Ravel (1975-1937), Igor Stravinsky (1882-1971), Arnöld Schönberg (1874-1951), Anton Webern (1883-1945), Béla Bartók (1881-1945), Leoš Janáček (1854-1928), Henri Dutilleux (1916è2013), Charles Ives (1874-1954), Olivier Messiaen (1908-1992).  Roger Muraro, piano ;  SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, direction : Sylvain Cambreling. 1992-2016.  Livret en allemand et anglais. SWR Music SWR 19135CD

Claude Debussy (1962-1918) : Le Martyre de Saint-Sébastien - Mystère en 5 actes. Heidi Grant Murphy, soprano ;  Dagmar Pecková, mezzo-soprano ;  Nathalie Stutzmann, alto ; Dörte Lyssewski, narration. Collegium Vocale Gent, direction : Christoph Siebert ;  SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, direction : Sylvain Cambreling. 2005. Livret en allemand et anglais. 77’09’’ Texte en français et allemand, traduction en allemand et anglais. SWR Music SWR 19149CD

Primé d’un Prix spécial des International Classical Music Awards 2024, le chef d'orchestre Sylvain Cambreling est aussi salué par des parutions chez SWR Music, un beau coffret et une captation du Martyre de Saint Sébastien dans sa version de concert chorale. On dira jamais assez à quel point Sylvain Cambreling est un musicien majeur tant par sa carrière que par son répertoire. Passionné par la création, il déclare dans l’interview réalisée pour les ICMA avoir dirigé entre 300 et 350 premières mondiales. Ce chef d’orchestre est aussi à son aise sur le podium symphonique que dans la fosse. Le public de La Monnaie se rappelle les grandes soirées lyriques avec des productions marquantes de Wagner, Verdi, Berg mais aussi de Mozart avec un travail novateur sur les récitatifs de Lucio Silla ou de La Clemenza di Tito, dans des productions de Patrice Chéreau et de époux Hermann qui ont marqué l’histoire de la mise en scène. En 1999, après avoir poursuivi ses activités à l’opéra de Francfort, Sylvain Cambreling est désigné à la direction musicale du SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, l'élite des orchestres de radio allemands à la suite de Michael Gielen. Au pupitre de cet orchestre dont il était déjà un invité régulier et qui le restera après son départ en 2011, le musicien, français  pouvait déployer son excellence avec, en particulier, des cycles Berlioz et Messiaen acclamés. 

Le coffret de 10 CD nous propose une exploration de grands classiques de la modernité du XXe siècle, complétée d’un disque  intégralement consacré à des ouvertures de Berlioz. On salue l’effort de SWR qui ne se limite pas à reprendre des albums édités auparavant mais évite majoritairement les doublons en proposant un ensemble homogène et pertinent.  

Ce qui frappe à l’écoute de ces témoignages, c'est la constance et la vision d’ensemble. Cambreling est au service des compositeurs avec une direction précise à la fois soignée et analytique. Rien n’est jamais sec ou distant mais la somme cisèle les pupitres mettant en avant la modernité de leur écriture. On adore ainsi la curiosité et la motricité de la Sinfonietta de Janáček ou la radiographie de la construction de la Symphonie n°4 de Charles Ives. Ravel et Debussy sont également des terres de passion avec une direction qui cerne tant le style que la transparence de l’écriture. L’art de Cambreling est un art d’équilibre qui n’oublie jamais le sens de la narration (on sent le chef lyrique expérimenté), ainsi les ballets et suite de ballets de  Bartók et de Stravinsky allient la verticalité instrumentale à une horizontalité dramaturgique.  Certes, il y a des gravures plus impactantes, plus portées par une fougue déchaînée et une énergie brute, mais on apprécie ici le mouvement d’ensemble et la cohérence de la conception. Les pupitres affûtés et les teintes mates et rocheuses du SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg sont des alliées de cet art d’un sculpteur musical qui travaille les détails et les formes. Avec Berlioz, on admire la pureté minérale d’un fini instrumental qui refuse les effluves romantiques pour s’affirmer comme une mécanique musicale et instrumentale, on a ainsi rarement entendu une ouverture Les Francs-juges plus logique et évidente ! 

Mentions d’excellences pour ce coffret avec les Messiaen (Oiseaux exotiques et Réveil des Oiseaux avec Roger Muraro au piano et Chronochromie) taillés comme des diamants dont les facettes explosent de couleurs rythmiques ou la modernité de la seconde école de Vienne avec aux sommets une lecture magistrale, anguleuse et tellurique des 3 pièces pour orchestre de Berg dont le travail sur les timbres et les dynamiques est exceptionnel. Il faut admirer la finesse de trait d’une grande lecture de la Symphonie de chambre n°2 de Schönberg, une partition souvent dédaignée car peu comprise. Sylvain Cambreling aime aussi prendre des partis-pris éditoriaux avec l’addition des 6 pièces pour grand orchestre de Webern dans lesquelles s’immiscent les 6 épigraphes antiques de Debussy (dans l’orchestration de Rudolf Escher). Ce Debussy décanté et énigmatique se marie parfaitement avec la parcimonie concentrée de Webern. 

En parallèle, SWR musique reprend une captation du Martyre de Saint-Sébastien avec l'équipe de luxe du Collegium Vocale Gent, parue auparavant chez Glor Classics. Cette partition reste l’une des mal aimées de Debussy, assez handicapée par le verbe précieux et ampoulé de Gabriele d’Annunzio. Mais était-il obligatoire de demander à l’auteur allemand Martin Mosebach de le réécrire… ? Sans faire abstraction que la narration est réservée aux germanophiles émérites, cela casse complètement le ton de la partition la privant de cette unité fin de siècle et décantés. C’est d’autant plus navrant que Cambreling parvient comme peu de chefs à trouver l’unité de ton de cette partition mystique dont il fait ressortir le côté planant avec le soin apporté à la finesse de l’orchestration….subernement secondé par son orchestre, le choeur et les solistes (Heidi Grant Murphy, Dagmar Pecková et Nathalie Stutzmann). La prise de son plutôt globale et distante est en retrait de celles du coffret.

Dès lors, on peut se contenter du coffret de 10 disques qui est un précieux témoignage d’un chef aux multiples facettes qui est de ceux que l’on ne célèbre pas assez en ces temps d'esbroufe généralisée.

Coffret  : 

Son  8/9    Notice : 9    Répertoire : 10    Interprétation : 9/10

Debussy : 

Son  7    Notice : 9    Répertoire : 5    Interprétation : 9

Pierre-Jean Tribot

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