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Tour des Flandres, Jan Vandenhouwe à propos d’Opera Ballet Vlaanderen 

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Crescendo Magazine amorce un tour des Flandres pour évoquer les grandes institutions musicales du Nord de notre pays. Des opérateurs culturels particulièrement intéressants, créatifs et dynamiques dont nous ne parlons que trop peu. Pour cette première étape, nous rencontrons Jan Vandenhouwe, directeur artistique Opera Ballet Vlaanderen (OBV), la plus grande institution musicale flamande. 

Ma première question est sous forme de constatation. La saison 2025-26  d’OBV commence extrêmement bien, un
Parsifal qui en a mis plein la vue et les oreilles au public, un Wozzeck qui a été repris en Chine, un ballet Grand finale qui a été un grand succès, un concert Beethoven/Mahler magnifique sous la baguette d’Alejo Perez . Tout va bien, alors, à Opera Ballet  Vlaanderen  ?


Oui, je pense que ça va bien ! J’ai pris mes fonctions  en septembre 2019. Après trois productions, la pandémie de Covid-19 est survenue. Cette période nous a permis de réorganiser et de structurer les opérations complexes de notre institution, qui regroupe différentes entités, deux sites à Anvers et Gand, mais aussi, l'opéra, le ballet et l’orchestre.  

Depuis la pandémie, nous observons une augmentation significative du public, même des abonnements, pour le ballet. Cela suggère que notre public adhère à l'orientation que nous prenons. 

Cependant, nous constatons également un changement dans les habitudes du public. Avant la pandémie, la fréquentation était plus stable et les spectateurs prenaient des tickets en bien en amont des représentations.  Aujourd'hui, chaque nouvelle production doit créer un véritable engouement, un "buzz", comme ce fut le cas pour Wozzeck. Quelques semaines avant la première, nous avions l'impression que le ticketing avait un peu de mal à démarrer et finalement les articles de presse ont été très bons, le bouche à oreille à très bien fonctionné et le public est finalement venu en grand nombre. 

Vous revenez de Chine où votre production de Wozzeck présentée, à Anvers et Gand,  à la fin du printemps dernier, a été donnée dans le cadre du Festival de musique de Pékin. Comment OBV a été associé à cet évènement qui a marqué la création de Wozzeck en Chine ?   

Le  Beijing Music Festival avait présenté, il y a quelques années Lulu, en première chinoise.  La découverte de cet opéra a été marquante pour le public chinois, et le festival a rapidement souhaité monter l’autre opéra d’Alban Berg : Wozzeck.  C'est ainsi qu'ils ont contacté des maisons lyriques européennes pour trouver une nouvelle production de Wozzeck à importer. Connaissant le travail du metteur en scène Johan Simons lorsqu'il dirigeait le Kammerspiele de Munich (et qui avait été en tournée en Chine), ils se sont intéressés à notre production. Après la présentation du concept, ils ont été convaincus.

Sur place, j'ai été impressionné par le public, souvent très jeune, extrêmement bien préparé et particulièrement intéressé. J'ai eu le sentiment que chacun s'était beaucoup renseigné sur l’opéra, considérant la première représentation de Wozzeck en Chine comme un véritable événement. Le festival était également très bien organisé, avec des techniciens efficaces. Le décor a été entièrement reconstruit sur place pour s'adapter à la scène, qui était cinq mètres plus large que la nôtre. L'exécution a été d'une grande efficacité et d'une précision remarquable. Ce fut une très belle collaboration. 

L’orchestre est à un tournant, puisque son directeur musical Alejo Pérez vient de quitter ses fonctions avec une production de Parsifal et un concert Beethoven / Mahler magnifique ! Quel bilan tirez-vous de son mandat et quelles sont les perspectives futures ? 

La collaboration avec Alejo Pérez a été fructueuse. Je le connaissais déjà de l'époque où je travaillais avec Gérard Mortier.  Il avait été l'assistant de Christoph von Dohnányi  et il avait dirigé des productions à Madrid. Je savais qu'il était très ouvert à la collaboration avec les metteurs en scène novateurs. C'est également un spécialiste de la musique contemporaine, ce qui lui permet d'aborder l'ensemble du répertoire avec cette perspective. De plus, il avait déjà dirigé avec succès Pelléas et Mélisande et Lohengrin pendant le mandat de mon prédécesseur Aviel Cahn, et ayant constaté la satisfaction de l'orchestre à travailler avec lui, il m'a semblé naturel de lui proposer de nous rejoindre. 

De plus,  nous avons eu le départ à la retraite de nombreux musiciens ces dernières années et à l'arrivée de jeunes musiciens. Alejo Pérez a été activement impliqué dans les processus de recrutement, et il a su motiver et créer une dynamique avec l'orchestre. Enfin, il est bénéfique que l'orchestre ne soit pas cantonné à la fosse, mais qu'il participe également à des concerts et à des ballets. 

Alejo Pérez est resté en poste 6 ans et je trouve que c’est une bonne durée pour un travail commun. Je constate que le niveau de l’orchestre a encore progressé sous sa direction. 

La cérémonie fascinante du Parsifal de l'Opéra d'Anvers

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PARSIFAL

Après l’Opéra de Gand, c’est à l’Opéra d’Anvers qu’est présenté le Parsifal de Wagner tel que l’ont « mis en images » Suzanne Kennedy et Markus Selg, tel que le magnifient solistes, orchestre et chœurs dirigés par Alejo Pérez.

Parsifal, ce jeune homme élevé par sa mère à l’écart du monde, naïf, ignorant, mais qui finira, au terme d’un long et difficile parcours initiatique, par devenir « le rédempteur » attendu, celui qui guérira, sauvera et transfigurera.

Un personnage qui est le héros du dernier opéra écrit, composé et créé (oui, il faisait tout lui-même) par Wagner en 1882, un an avant sa mort. Une œuvre d’accomplissement ultime.

Une œuvre qui a inspiré tant et tant de metteurs en scène, multipliant les points de vue originaux (ou parfois prétendus tels). Mes lecteurs spectateurs assidus à La Monnaie se souviendront de la vision inattendue, radicale et pertinente de Romeo Castellucci, qui fit l’événement en 2011.

A l’Opéra des Flandres, Suzanne Kennedy et Markus Selg nous plongent à la fois dans un univers hypnotique fascinant et au cœur d’une lente cérémonie rituelle.

Wozzeck de haut vol à Gand 

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Le Wozzeck d’Alban Berg célèbre cette année ses 100 ans ! Un siècle que ce pilier de la modernité ne cesse de nous fasciner par ses ruptures et ses radicalités. Malgré sa place centrale dans l'histoire de la musique, cet opéra n’est pas si souvent proposé au public, ainsi la dernière production dans notre royaume remontait à 2008 à La Monnaie.  C’est donc avec grand intérêt que l”on se rend à cette production d’Opera Ballet Vlaanderen qui sur le papier s'annonçait pour le mieux. 

Il faut commencer cette évocation par la réussite musicale portée par la fosse. Alejo Pérez, directeur musical de la maison officie au pupitre du  Symfonisch Orkest van Opera Ballet Vlaanderen. Sa direction est à la fois tranchante et dramatique, combinant ce qu’il faut de caractère analytique  pour scanner la matière orchestre et ce qui est attendu en matière d'ampleur et d‘impact. Sous la baguette du chef argentin, scherzo, passacaille, marche, largo, valse et autres formes musicales convoquées par Berg s'animent d'une force musicale qui chauffe à blanc les pupitres de la phalange. Si toute la représentation est portée par une force dramaturgique, le troisième acte est foncièrement tellurique. 

Pour la mise en scène, on est heureux de retrouver le Néerlandais Johan Simons. Ce dernier est tout sauf un stakhanoviste de la mise en scène d'opéra, et ses réalisations sont même plutôt rares et toujours de haut vol, apportant des regards neufs sur des oeuvre.  Johan Simons est avant tout un homme de théâtre qui sait tant diriger au mieux ses acteurs et scanner les profondeurs de l’âme des personnages. Wozzeck de Berg peut être le prétexte à tant de délires et d’excès mais avec Johan Simons, on plonge dans l’univers mental du personnage. Le postulat du metteur en scène est de « donner une traduction visuelle à l’espace mental de Wozzeck”. Bien sûr, le héros est dans une dimension parallèle, égaré, perdu dans cet univers de paroxysme de violences. Mais au fil de la représentation, on se questionne sur qui est le plus fou ? Le Docteur, en créature expressionniste totalement hallucinée ? Le Capitaine, sorte de monstre irascible mais si vulnérable ? Le Tambour major, comme un personnage de carnaval, tel un soldat de bois qui s’anime ? Dans ce panorama des figures inquiétantes, même l'idiot clownesque n'apparaît pas plus atteint que les autres. Dès lors, Marie se détache, trop humaine, tentant de survivre au milieu de ses relations exacerbées et marquées par la folie. On notera la présence d’enfants, tout au long de la représentation, spectateurs de la tragédie. Pas de rédemption, pas d’issues pour ces jeunes qui dans la scène de la taverne sont déjà en train de picoler aux côtés des adultes. Dès lors, la scène finale avec le chœur d’enfants n’en a que plus d’impact. 

A Genève, Calixto Bieito s’embourbe dans La Khovantchina 

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Après avoir assumé, au Grand-Théâtre de Genève, les productions de Guerre et Paix en 2021 et de Lady Macbeth de Mzensk en 2023,  Calixto Bieito conçoit la mise en scène de La Khovantchina de Moussorgski en collaborant comme précédemment avec Rebecca Ringst pour les décors, Ingo Krügler pour les costumes et Michael Bauer pour les lumières, tout en bénéficiant de la présence du chef argentin Alejo Pérez au pupitre. Dans un interview figurant dans le magazine du GTG de février 2025, il déclare trouver dans la musique russe «  une manière éloquente de faire jaillir les émotions, de combiner à la fois la mélancolie et la puissance… Dans Khovantchina, il y a un thème universel : le coût que l’humanité paie continuellement pour aller vers le changement. C’est intéressant d’observer comment l’être humain détruit et s’autodétruit pour atteindre une transformation ».

Donc, spectateur, fais table rase du contexte historique des années 1680, oublie les tendances politico-sociales qui opposent l’omnipotence traditionnelle des Princes Khovanski aux tendances progressistes orientées vers l’ouest dont le Prince Golitsyn est l’incarnation, alors que la secte des Vieux-Croyants cultive le fanatisme religieux en se repliant sur elle-même. Et te voilà immergé dans un hall de gare où les voyageurs se figent sur leurs valises, tandis que l’Orchestre de la Suisse Romande dépeint admirablement le lever du jour sur la Moskova. Alors que les parois se couvrent d’écrans vidéo, quelle est notre surprise de voir apparaître des rangées de danseuses en tutu échappées d’un Lac mythique ! Serait-ce l’évocation du Cygne blanc, emblème des Khovanski ? De quel droit le malheureux Kouzka, émissaire bouffi comme un pantin grotesque, se permet-il de boulotter des friandises dans le cercueil du petit père des peuples ? Comment tolérer que Marfa ressemble à une virago bardée cuir se muant en clocharde pour toiser la dévote Susanna ? Tout aussi grotesque est le fait que les Princes Andrei Khovanski et Vassili Golytsin, tirés à quatre épingles en complet noir, affrontent le redoutable Ivan Khovanski en débardeur noir à chaînette de punk ou que le patriarche Dosifei en soit réduit à endosser le tapis jouxtant l’iconostase de son monastère… Absurde, l’image du  potentat se vautrant dans sa baignoire pour assister à la Danse des esclaves persanes, numéro obligé dont le metteur en scène ne sait que faire, contraignant ainsi les ouvrières à dégrafer leur salopette et à jeter aux orties leur masque à gaz. Et c’est évidemment dans cette vasque que le vieux prince finira noyé par les bons soins de l’infâme Chaklovity. Au terme de ce fatras qui n’a guère contribué à expliciter une trame enchevêtrée, il faut en arriver au dénouement pour voir avancer les wagons d’un train emmenant le Prince Golytsin en exil, figeant ensuite la voiture de queue dans une nébulosité dorée comme une assomption, image magnifique qui restera dans les mémoires.

Quant à la musique, il faut d’abord relever que cette Khovantchina est présentée dans la version orchestrée par Dmitri Chostakovitch en 1958, tout en y incorporant le final conçu par Igor Stravinsky en 1913. Et il faut tirer chapeau bas devant le chef argentin Alejo Pérez qui, tout au long de cet ouvrage monumental, éclaircit les textures pour modeler un canevas orchestral d’une remarquable fluidité tout en l’innervant d’une tension dramatique qui ne faiblit jamais. Il est admirablement secondé par le Chœur du Grand-Théâtre, vraisemblablement renforcé d’un effectif complémentaire, et par la Maîtrise du Conservatoire Populaire de Genève qui, sous l’égide du nouveau chef Mark Biggins, atteignent à une fusion des ensembles de tout premier ordre.

Jenůfa de Leoš Janáček à l'opéra de Flandres

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Le bonheur de voir, de revoir et de revoir encore une mise en scène qui exalte une œuvre elle-même exaltante : la Jenufa de Robert Carsen à l’Opéra des Flandres.

Dans la mesure où le répertoire lyrique, du moins tel qu’il est le plus souvent programmé, est un corpus plutôt limité, l’amateur d’opéra se réjouit d’entendre encore et encore un même catalogue d'œuvres. De retrouver tel ou tel air, tel ou tel duo, tel ou tel ensemble, tel ou tel trait instrumental ou intermède orchestral, qui le réjouissent en l’émouvant.

Beaucoup plus rarement, il peut éprouver le même bonheur en retrouvant à plusieurs reprises au fil des saisons la même mise en scène d’une même œuvre. Plusieurs sont ainsj devenues des mises en scène « de répertoire », et je pense à certaines de Zefirelli ou Strehler par exemple.

Ce bonheur, je l’ai donc éprouvé avec la reprise, à l’Opéra des Flandres, de la Jenůfa de Leoš Janáček, telle que lui a donné vie scénique Robert Carsen. Une mise en scène créée en 1999, reprise en 2004, en 2007 et aujourd’hui.

Jenůfa, la jeune femme trahie par son promis Steva ; défigurée par cet autre, Laca, qui l’aime éperdument, fou de jalousie ; recluse avec son nouveau-né secret. Jenůfa ou le sacrifice de cette femme, la sacristine, qui fait disparaître le nourrisson. Jenůfa ou la rédemption finale et la (ré)union de Jenufa et Laca

A Anvers, la représentation s’est achevée une fois de plus dans l’enthousiasme d’un public conquis. Pourquoi cette adhésion heureuse au long cours ?

A Genève, une saisissante Lady Macbeth de Mtsensk  

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En 2014, alors qu’Aviel Cahn était directeur de l’Opéra des Flandres, Calixto Bieito collaborait avec le chef d’orchestre Dimitri Jurowski pour présenter Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch avec Aušrine Stundyte dans le rôle de Katerina Ismailova et Ladislav Elgr dans celui son amant, Sergueï. Neuf ans plus tard, le metteur en scène et les deux chanteurs se retrouvent au Grand-Théâtre de Genève pour reprendre cette production, tandis que, dans la fosse d’orchestre, figure le chef argentin Alejo Pérez qui oeuvra ici avec le régisseur pour Guerre et Paix en septembre 2021. Et la réussite de cette seconde entreprise longuement mûrie dépasse toutes les espérances par son indéniable achèvement.

Créée au Théâtre Maly de Leningrad le 22 janvier 1934 sous la direction de Samuel Samossoud, l’œuvre est représentée quatre-vingts fois à Leningrad, près de cent fois à Moscou, avant que ne soit publié Tohu-bohu à la place de la musique, article incendiaire de la Pravda qui marque son interdiction voulue par Staline. Préalablement pour une présentation, le compositeur écrivait : « Même si Katerina Lvovna est une meurtrière, elle n’est pas une ordure… Sa vie est morne et inintéressante. Alors entre dans sa vie comme un amour. Et cet amour vaut un crime pour elle… Au nom de l’amour, elle est capable de tout, même du meurtre ».