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Klarafestival: Tjeknavorian, Chamayou et le Gürzenich-Orchester Köln sabrent le champagne

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2025 s’annonce décidément comme un grand cru sur le plan musical ! L’année du 150e anniversaire de Maurice Ravel coïncide, en effet, avec le 20e anniversaire du Klarafestival, qui débutait ce 20 mars à Bozar. Pour l’occasion, le festival a mis les petits plats dans les grands. Les amateurs de jazz salueront comme il se doit la venue du trompettiste et compositeur américain Wynton Marsalis. De Marsalis au Ravel du Concerto en sol, truffé de motifs jazzistes et de blues, le pas est loin d’être infranchissable. Quelle excellente idée, dès lors, que d’avoir invité également l’un des plus grands interprètes actuels de l’auteur de Bolero: Bertrand Chamayou. 

Ce dernier n’était pas seul, hier soir, sur la scène de Bozar: le Gürzenich-Orchester Köln, dirigé de main de maître par Emmanuel Tjeknavorian, proposait, en ouverture, Gayaneh d’Aram Khatchatourian et, en seconde partie, l’orchestration signée Ravel des Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgski. Avant la pause, ce fut au tour du concerto ravélien pour les deux mains de briller de mille feux.

Passées les allocutions d’usage ponctuant l’ouverture du festival, longuettes mais inévitables, la soirée s’ouvrit donc sur la suite de ballet de Khatchatourian. D’emblée, on ressent que le jeune chef et violoniste autrichien a ingéré et digéré la musique du compositeur soviétique arménien depuis son plus jeune âge. Pour cause, sans doute, ses racines paternelles, Emmanuel étant le fils du compositeur et chef d’orchestre irano-arménien Loris Tjeknavorian. 

Ganayeh s’inspire d’un ballet antérieur de Khatchatourian, Schast’e (Bonheur), composé en 1939. On ne nous en voudra pas de ne pas entrer dans le détail de l’argument de cette suite de danses, d’une naïveté affligeante et d’un patriotisme aveugle. Nous nous contenterons de rappeler que l’action, telle qu’elle se présentait lors de la création de l’œuvre le 9 décembre 1942, se situe dans un kolkhoze arménien en juin 1941 et met en scène un traitre de la cause communiste et l’égérie du kolkhoze, Gayaneh. Cette dernière parviendra à déjouer les projets du renégat avec l’aide d’un garde-frontière russe, qu’elle épousera. C’est sur un hymne au régime communiste que s’achève le ballet, dans la plus complète allégresse. En juin 1941, l’Allemagne nazie vient d’envahir l’URSS. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Staline mobilise les artistes d’Union soviétique en vue d’exacerber la ferveur du peuple et de l’armée. Le 14 juin, il déporte en Sibérie 380 000 Estoniens, Lettons, Lituaniens et Polonais et fait assassiner un millier d’officiers lettons, soupçonnés - sans aucune forme de procès - d’avoir  soutenu l’occupant. Mais de cela, l’argument du ballet ne souffle évidemment mot. En dépit des beautés incontestables de la partition, ce n’est donc pas sans un pincement au cœur que nous lui tendons l’oreille aujourd’hui, en particulier dans le contexte géopolitique actuel, sachant que le ballet regorge de danses ukrainiennes, géorgiennes et russes. 

Bertrand Chamayou célèbre les 150 ans de Ravel par un hommage kaléidoscopique 

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Fragments. Maurice Ravel (1875-1937) : Extraits de Daphnis et Chloé, La Valse, transcriptions de Maurice Ravel ; Trois Beaux Oiseaux du paradis, Chanson de la mariée, Pièce en forme de habanera, transcriptions de Bertrand Chamayou. Joaquín Nin (1879-1949) : Mensaje a Ravel. Salvatore Sciarrino (°1947) : De la nuit. Alexandre Tansman (1897-1986) : Prélude n° 5 (Hommage à Maurice Ravel). Frédéric Durieux (°1969) : Pour tous ceux qui tombent (Hommage à Maurice Ravel). Ricardo Viñes (1875-1943) : Menuet spectral (à la mémoire de Maurice Ravel). Xavier Montsalvatge (1912-2002) : Elegia a Maurice Ravel. Betsy Jolas (°1926) : Signets (Hommage à Ravel). Arthur Honegger (1892-1955) : Hommage à Ravel, extrait des 3 Pièces. Bertrand Chamayou, piano. 2024. Notice en français, en anglais et en allemand. 61’ 17’’. Érato 5021732601230.

Barbara Hannigan illustre, sans convaincre, le bonheur conjugal de Messiaen

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Olivier Messiaen (1908-1992) : Chants de terre et de ciel, pour soprano et piano ; Poèmes pour Mi, pour soprano et piano ; La Mort du nombre, pour soprano, ténor, violon et piano. Barbara Hannigan, soprano ; Charles Sy, ténor ; Vilde Frang, violon ; Bertrand Chamayou, piano. 2022. Notice en anglais, en français et en allemand. Textes des poèmes avec traduction anglaise. 58’ 40’’. Alpha 1033.

A l’OSR, une jeune cheffe prometteuse, Ana María Patiño-Osorio en compagnie de Bertrand Chamayou 

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Pour le dernier concert de la saison 2023-2024, l’Orchestre de la Suisse Romande avait invité le chef Polonais Krzystof Urbanski qui devait présenter notamment la création en public de Reflections, concerto pour piano et orchestre de Michael Jarrell avec le concours du pianiste Bertrand Chamayou. Tombé malade au cours des répétitions, le chef a dû annuler sa participation. Et compte tenu de la complexité de cette commande conjointe de l’Orchestre Philharmonique de Radio-France et de l’OSR, il a été convenu avec le compositeur que cette création serait reportée à une prochaine saison. Au pied levé, la cheffe assistante de l’Orchestre romand,  Ana María Patiño-Osorio a accepté de reprendre les rênes en substituant le Concerto pour piano et orchestre de Ravel à Reflections, tout en respectant le reste du programme.

En hors-d’œuvre bien fade est proposée d’abord l’orchestration que Claude Debussy élabora en 1897 pour deux des Gymnopédies d’Erik Satie composées neuf ans auparavant. De la version originale pour piano, Jean Cocteau disait : « La musique de Satie va toute nue ». Et l’instrumentation s’attache à la transparence de la première confinée à un dialogue du hautbois et de la flûte sur un canevas ténu de cordes alors que la troisième pare d’éloquence la cantilène des premiers violons enveloppée parle tissage étrange confectionné par la harpe et la cymbale.

Le Quatuor Emerson : la fin d’un parcours de près de cinq décennies

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Infinite Voyage. Paul Hindemith (1895-1963) : Melancholie op. 13 ; Alban Berg (1885-1935) : Quatuor à cordes op. 3 ; Ernest Chausson (1855-1899) : Chanson perpétuelle op. 37 ; Arnold Schoenberg (1874-1951) : Quatuor à cordes n° 2 en fa dièse mineur op. 10. Quatuor Emerson ; Barbara Hannigan, soprano ; Bertrand Chamayou, piano. 2022. Notice en anglais, en français et en allemand. Textes des mélodies en langue originale, avec traductions en deux langues. 72’55’’. Un CD Alpha 1000. 

Montreux ovationne Tugan Sokhiev et l’Orchestre du Capitole  

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Le Septembre Musical à la fin mai début juin, tel est le fait surprenant auquel est confronté le public des habitués du Festival de Montreux-Vevey ! Il faut mentionner qu’au terme du Montreux Jazz Festival qui aura lieu en août, l’Auditorium Stravinsky fermera ses portes pour de longs mois de travaux. C’est pourquoi Mischa Damev, directeur du Septembre Musical, a été contraint d’anticiper la série de manifestations.

Pour la 77e édition comportant dix concerts, la France est à l’honneur, ce qui occasionne la venue de deux de ses grandes phalanges symphoniques, l’Orchestre National du Capitole de Toulouse et l’Orchestre Philharmonique de Radio France. La première de ces formations ouvre les feux les 31 mai et 1er juin sous la direction de celui qui a fait sa renommée internationale de 2008 à 2022, Tugan Sokhiev. 

Le premier soir, le programme est intégralement dédié à la musique française et commence par Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy, plongé dans un pianissimo étrange d’où se dégagera la lente mélopée de la flûte à laquelle répondra le hautbois enveloppé par les cordes langoureuses. De cette torpeur naîtra une ascension vers un tutti où s’étalera une sensualité débordante qui finira par retomber, alors que le chef prend soin de détailler chaque note de la péroraison.

Intervient ensuite Renaud Capuçon qui aurait dû interpréter le 3e Concerto en si mineur op.61 de Camille Saint-Saëns mais qui se voit contraint de solliciter un changement de programme. En coulisse court la rumeur que ses trop nombreuses obligations l’ont empêché de se rendre à Toulouse pour répéter… En lieu et place, il propose le Poème op.25 d’Ernest Chausson écrit pour le grand violoniste Eugène Ysaye qui en assura la création à Nancy le 27 décembre 1896 puis à Paris le 4 avril 1897. D’une introduction orchestrale tirant sa gravité de la profondeur des basses, le violon se détache lentement en un pianissimo déchirant qui s’anime de pathétiques élans rendant expressives les doubles cordes. Le discours s’exacerbe, l’aigu devient tranchant en un paroxysme tumultueux masquant avec peine le manque de répétitions. Mais la section finale est dominée par une sonorité radieuse corsée par le trille avant de trouver l’apaisement rédempteur.

La première édition du Festival Angers Pianopolis

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Ruines - Pascal Quignard et Aline Piboule

La toute première édition du Festival Pianopolis vient de se terminer le 21 mai dernier. Le Festival, initié par Nicolas Dufetel, musicologue et adjoint à la culture et au patrimoine à la mairie, met l'accent sur les lieux historiques de la ville, jusqu’alors peu ouverts au public. Les grands noms de la musique classique et les jeunes musiciens du Conservatoire prennent quotidiennement leurs parts pendant les quatre jours où tous les concerts se jouaient à guichets fermés.

Au commencement, il y eut le projet d’« Angers pousse le son », une série de concerts sans public captés sur des lieux patrimoniaux de la ville, pendant la période de fermeture des salles de concerts. Diffusés sur internet de 2020 à 2022, ces films ont fait revivre les murs emblématiques multicentenaires : le cloître, la chapelle et les greniers Saint-Jean, l’abbaye de Ronceray, le couvent de Beaumette, le château d’Angers… Les artistes de la musique classique, souvent jeunes, dont Alexandre Kantorow, Thibaut Garcia, Félicien Brut ou Astrig Siranossian, pour ne citer qu’eux, ont côtoyés, au fil des diffusions, d’autres genres musicaux : chanson, pop, jazz, tzigane…

À l’occasion de cette première édition du festival, certains d’entre eux ont retrouvé physiquement leur public. Ainsi, le dernier jour, aux greniers Saint-Jean, Alexandre Kantorow et Aurélien Pascal en duo, puis Bertrand Chamayou en solo, ont enflammé la salle pleine à craquer, avec leur virtuosité mais aussi et surtout leur musicalité exceptionnelle. Malgré leur jeune âge (ils ont à peine 50 ans à deux), le duo frôle le sommet. Leur incarnation musicale, dans la première Sonate de Brahms tout au début du programme, est telle qu’on aurait dit qu’ils jouaient déjà ensemble depuis des heures. Il y a un lyrisme incontestable dans leur sonorité, une spontanéité haletante dans une mise en place parfaite… Dans la Sonate de Grieg, ils réalisent une véritable tapisserie sonore. En effet, l’idée de tissage est absolument juste, par la spatialisation acoustique qu’ils adaptent au fur et à mesure, en fonction du retour du son. Tout naturellement, cela fait écho à la Teinture de l’Apocalypse du Château d’Angers mais aussi aux tapisseries modernes de Jean Lurçat dont une est à vue, derrière la scène. Avec une telle maîtrise, il n’est aucunement exagéré de dire que c’est l’une des meilleures formations actuelles de violoncelle-piano au monde. Au milieu du programme, Alexandre Kantorow joue en solo quelques Lieder de Schubert transcrits par Liszt où il fait montre de son art des plans, des coloris et des tons. Les couleurs s’entendent clairement à travers son interprétation et c’est précisément l’un des caractères superlatifs de son jeu.