Mots-clé : Elena Stikhina

Robert Carsen inscrit Aïda dans une modernité glauque et totalitaire

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Giuseppe Verdi (1813-1901) : Aïda, opéra en quatre actes. Elena Stikhina (Aïda), Francesco Meli (Radamès), Agnieszka Rehlis (Amneris), Ludovic Tézier (Amonasro), Solomon Howard (Ramfis), Insung Sim (Le roi d’Egypte), Andrés Presno (Le messager) ; Chœurs et Orchestre du Royal Opera House, direction Sir Antonio Pappano. 2022. Pas de notice, mais synopsis en anglais et chapitrage. Sous-titres en anglais, en français, en allemand, en italien, en japonais et en coréen. 167’ (dont 10’ de bonus). Un DVD Opus Arte 0A1383D. Aussi disponible en Blu Ray. 

Le Prince Igor triomphe de l’Apocalypse soviétique

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Le chef-d’œuvre de Borodine s’inspire d’un poème épique de la fin du XIIe siècle relatant la lutte d’un peuple occupant une partie de l’actuelle Ukraine contre des envahisseurs polovstsiens (turcophones venus du Kazakhstan) précédant les grandes invasions mongoles et tatares. La mise en scène englobe l’épopée médiévale, la confrontation Orient – Occident et l’histoire récente. En les dénudant « à l’os », elle laisse tout l’espace à l’émotion musicale tandis que les héros prennent une envergure symbolique, sacrificielle, voire mystique. Le tout passe par une vision sans complaisance, cruellement réaliste, de l’histoire russe. Le recours à des stéréotypes « compris par tous » (treillis, kalachnikov, béton et autoroute) relève de l’ironie car, en réalité, leur insignifiance délibérée permet de pénétrer sans obstacle contingent au cœur de la condition humaine, en ses ultimes retranchements. 

Au fil des quatre actes (version 1890 -le III étant curieusement remplacé par l’Ouverture, occasion d’une salve d’applaudissements pour l’orchestre, et le second Monologue d’Igor orchestré tout aussi efficacement par Pavel Smelkov étant intégré à l’acte IV), le processus de déchéance remonte inexorablement le cours du temps. La cathédrale d’or surmontée d’une croix laisse place à la dépravation de l’oligarchie mafieuse des années 1990 -excellente composition du Prince jouisseur Galitski (Dmitry Ulyanov)- puis aux geôles staliniennes pour conclure avec la vision d’une populace décervelée couronnant un bouffon. Ce sera à l’épouse aimante (magnifique figure de femme) d’offrir la rédemption au héros avant qu’ils ne s’effacent dans la « perspective perdue » d’une autoroute vide.