Interviews
Le violoniste Théotime Langlois de Swarte en compagnie de son ensemble Le Consort proposent un album avec les célèbres Quatre Saisons de Vivaldi. Mais comme le dit la présentation de ce phonographe, ce n’est pas qu’une nouvelle interprétation de ce chef d’oeuvre, c’est un projet éditorial et musical qui met en relief d’autres oeuvres du compositeur et des danses vénitiennes de Lambranzi.
Dans le livret de présentation, vous dites que les Quatre Saisons de Vivaldi ont toujours exercé sur vous une fascination profonde. Dès lors, quels sentiments vous procure le fait d’avoir enregistré cette partition ?
Les Quatre Saisons est une œuvre très importante pour moi. A l'issue de cet enregistrement, je ressens un mélange d'émotions. J'ai à la fois un sentiment d'accomplissement car c'était un moment très fort d'enregistrer ces pièces et d'un autre côté, je suis dans l'attente des prochains concerts que je vais donner et impatient de voir comment ma relation avec cette œuvre va évoluer au fil du temps.
Pourquoi enregistrer ce cycle maintenant, au stade actuel du développement de votre carrière ?
J'ai enregistré ce cycle pour fêter les 300 ans de la publication des Quatre Saisons en 1725. Cette pièce va m'accompagner tout au long de cette année car je serai en tournée aux Etats-Unis avec 22 concerts de mi-mars à début mai et je jouerai ensuite cette œuvre en Europe. Je pense que c'était aussi le bon moment de me confronter à une œuvre que tout le monde connait car j'ai l'habitude d'enregistrer des compositeurs méconnus, des pièces que les gens délaissent ou alors n'ont jamais retrouvées (par exemple Eccles, Senaillé, Dandrieu avec mon ensemble Le Consort) ou encore d'autres compositeurs que j'ai vraiment à cœur de redécouvrir.
Dans le cas présent pour les Quatre Saisons, c'est peut-être l'œuvre la plus célèbre du répertoire classique. J'avais envie de partager ma vision de cette œuvre, même si c'est une vision inachevée car c'est la vision que j'ai eue en juillet 2024. Je pense qu'elle sera en perpétuelle évolution tout au long de ma vie.
Est-ce que l’on peut se détacher, comme interprète, du côté purement narratif de cette musique ?
Le côté narratif est intéressant, mais ce n'est pas la seule voie d'accès au Quatre Saisons. Les Quatre Saisons sont pour moi une œuvre symbolique. Toute la rhétorique baroque est basée sur des symboles,sur une prosodie. Les Quatre Saisons racontent aussi l'histoire de la naissance jusqu'à la mort et le continuum de la vie.
Dans la construction du disque, j'ai essayé de comprendre et de démontrer la symbolique de cette œuvre : le printemps est une allégorie de la naissance, l'hiver de la mort, et puis on a un retour au printemps. J'ai trouvé cette dimension métaphysique très inspirante. Dans le deuxième mouvement de l'hiver en mi bémol majeur par exemple, il y a le ton de la dévotion, de la conversation intime avec Dieu, selon Matheson. Ces trois bémols nous invitent à la trinité. Il y a donc plusieurs degrés de lecture et je pense que tous les degrés coexistent et peuvent parler au plus grand nombre.
Le jury des International Classical Music Awards a désigné le compositeur autrichien Christoph Ehrenfellner Compositeur de l'année 2025. Ursula Magnes, qui représente Radio Klassik Stephansdom au sein du jury de ICMA, a posé quelques questions à ce « rebelle contre l'intolérance » selon les mots du jury ICMA.
Quelle a été votre première composition ?
Mon opus 1 était « Amores », les poèmes d'amour d'Ovide pour quatuor à cordes et voix. J'ai chanté la première en 2005 moi-même, improvisant spontanément et peignant mes propres décors de scène. Avec ma mère nous avons mis en scène un spectacle complet. Les gens étaient ravis. Une première tentative et un coup de pied immédiat dans le monde de la création !
À 25 ans, vous vous êtes immédiatement mis à Ovide. Y a-t-il un humaniste en vous ?
Oui, il y a un humaniste en moi, très nettement. Un vrai philanthrope et un amoureux de l'art ! Le latin était important dans mon école privée catholique et me fascinait. Les références à l'Antiquité et à la Renaissance sont pour moi des sources très, très fertiles. Aussi fou que cela puisse paraître, je crois que je suis vraiment la preuve incarnée que les récits du XXe siècle, en ce qui concerne l'histoire de l'art et de la musique, doivent tout simplement être remis en question et reconsidérés.
Qu'est-ce qui rend votre musique particulière ? Pouvez-vous la décrire avec des mots ?
Il y a des années, j'ai dit en plaisantant que j'étais un classique de la musique moderne. J'insiste sur le « moderne » ! On sent d'où cela vient dans chaque mesure de ma musique. Elle revendique ses origines et aime la tradition. Il n'y a absolument aucune raison de dénigrer cette tradition, car pour moi, la tradition en soi est quelque chose d'incroyablement positif. Mais dans un environnement où l'on vend tout le temps la nouveauté, qui se répète en fait depuis 100 ans, quelqu'un comme moi est un rebelle. Cela n'aide pas si j'ai une Ferrari comme l'Orchestre philharmonique de Vienne dans le garage de mon orchestre, et que je dis que je pense que c'est génial maintenant, nous allons tout simplement rouler en marche arrière, parce que nous avons assez roulé en marche avant. C'est ce que j'ai vécu en tant que musicien pendant 30 ans et j'offre de réelles alternatives à cela.
Vous considérez-vous dans la même tradition qu'Alban Berg ?
Tout à fait. À tel point que je considère maintenant mon quatrième opéra Karl et Anna op. 48, qui a été créé au Mainfranken Theater Würzburg en avril 2024, comme une sorte de... Eh bien, j'ai simplement été inspiré par Wozzeck. Non pas que j'aie copié quoi que ce soit, mais j'ai cette façon de travailler et de penser de manière sérielle, c'est-à-dire avec des rangées, mais avec une liberté et une sensualité du son qui sont absolument orientées vers l'efficacité, vers un effet musical et théâtral. J'utilise tout ce qui s'est avéré utile dans la culture de l'opéra national. La technique du leitmotiv de Wagner, le sérialisme, la poésie libre d'Alban Berg. Je continue à construire avec et à faire le mien. Alors pourquoi ne devrais-je pas l'utiliser ? Pour que je puisse donner à mon public un plaisir profond.
Cela signifie que vous n'avez jamais composé pour le tiroir de votre vie ?
Jamais. Chaque pièce est une commande. Ma première a été commandée par moi. Mais c'était la seule. Toutes les autres sont des commandes.