Hasard de mes pérégrinations à l’opéra, après le Mignon de Liège, le Fortunio de Nancy. Deux « opéras-comiques », deux œuvres plutôt légères, destinées initialement à un public venu vivre de belles émotions qui ne l’engageaient ni ne l’effarouchaient pas trop et lui valaient un bon divertissement socio-musical. Mais les deux fois, des œuvres qui, finalement, se révèlent de réelle intensité. Ainsi, si ma critique de Mignon était significativement titrée « De l’opérette à l’opéra », cette fois, pour ne pas reprendre le même titre, j’ai choisi « Après l’entracte ».
C’est qu’en effet, la première partie de l’œuvre de Messager est éminemment légère, avec ses situations et personnages typés. Une petite ville de province profonde, son notable (le notaire André), la belle et prude épouse de celui-ci (Jacqueline), un régiment qui passe (et son séducteur galonné de capitaine Clavaroche), un jeune homme timide et poète (Fortunio). Tout est prêt pour une sorte de vaudeville avec un mari-papa, sa femme qui « se réveille » dans les bras du capitaine, et la bonne idée du « chandelier », une sorte de paratonnerre : Fortunio, leurre amoureux qui distraira le mari, le trompant sur la réalité de la situation. Léger ? Cela commence par une partie de pétanque, cela nous vaut des vers immortels : « Il était gris, la nuit était noire », « C’est un morceau de roi, c’est un morceau pour moi » ; et bien sûr un amant caché dans le placard ! La musique et les airs sont à l’exacte mesure de cette histoire attendue. Agréables à écouter.
André Messager (1853-1929) : Fortunio, comédie lyrique en quatre actes. Cyrille Dubois (Fortunio), Anne-Catherine Gillet (Jacqueline), Franck Leguérinel (Maître André), Jean-Sébastien Bou (Clavaroche), Philippe-Nicolas Martin (Landry) et six autres rôles. Chœur Les Eléments ; Orchestre des Champs-Elysées, direction Louis Langrée. 2019. Livret en anglais et en français. Sous-titres en français, en anglais, en allemand, en japonais et en coréen. 119.00. Un DVD Naxos 2. 110672. Aussi disponible en Blu Ray.
Cet été, l’Orchestre National de Lille a créé les « Nuits d’été », un nouveau rendez-vous dédié aux grands chefs-d’œuvre de l’art lyrique. Les 9, 11 et 12 juillet dernier, l’Auditorium du Nouveau Siècle a vu naître une version inédite de Carmen de Bizet, en concert.
Alexandre Bloch, directeur artistique de l’ONL depuis trois ans, poursuit saprogrammation novatrice. Après « concerts Flash » (concerts courts à l’heure du déjeuner), « Bord de scène » (rencontre avec des artistes après le concert en bord de scène), répétitions ouvertes, « Just play » (interaction avec le public par le biais numérique) ou encore « Afterworks », sans oublier des ciné-concerts et des traditionnelles tournées dans la région, le jeune chef invente une nouvelle formule ouverte à tous, les « Nuits d’été ». Pour cette première édition, Alexandre Bloch souhaitait montrer une Carmen différente, qui permette d’aller en profondeur dans la musique, la relation entre les chanteurs et avec l’Orchestre. Pour ce faire, il a remplacé toutes les parties parlées de l’opéra-comique par une narration, faisant appel à l’humoriste et homme de média Alex Vizorek. Ce dernier interrompt l’œuvre dès la fin de l’ouverture pour lancer les premiers mots au micro. Un petit choc. Mais on comprend vite qu’il s’agit de « récit » et on s’habitue naturellement à ce système inédit. Il revient souvent au texte de Prospère Mérimée, la nouvelle publiée en 1847, et lit des passages qui correspondent à chaque scène donnée ; il insère également ça et là ses propres commentaires piquants, suscitant sourires ou rires francs dans l’auditoire. L’objectif d’aller vers le public, si cher à l’Orchestre, est pleinement atteint, d’autant que la direction d’Alexandre Bloch (la première dans cet opéra) est très engagée et que l’ONL se montre très réactif.