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A La Monnaie, le « Götterdämmerung » de Richard Wagner est le beau récit d’une terrible histoire  

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Après le beau conte qu’était son  Siegfried, Pierre Audi nous a offert le beau et terrible récit de son Götterdämmerung. Une nouvelle réussite dans sa pertinence dramaturgique et surtout dans sa façon de se mettre ainsi au service de la musique et du chant, de leur permettre le meilleur épanouissement.

Comme pour  Siegfried, la représentation s’ouvre sur des images d’enfants occupés à un atelier de peinture et de bricolage aux thèmes focalisés sur la chevalerie dans ses grands combats. Le ton est donné : après le conte initiatique de Siegfried - « celui qui ne connaît pas la peur » -, la terrible histoire d’un Crépuscule des dieux, que je ne me risquerai pas à résumer ici. Sachez simplement qu’il y a des philtres magiques, des substitutions de personnes, et donc des confusions tragiques, des traîtrises, des révélations ; Siegfried mourra assassiné, Brünnhilde se jettera dans les flammes de son bûcher funéraire, le Walhalla s’embrasera. 

Aucun réalisme sur le plateau, sinon une épée, la Nothung de Siegfried, une lance, celle qui assassinera ce même Siegfried, un voile de mariée, celui de deux femmes, Brünnhilde et Gutrune. Sur le plateau et suspendus aux cintres, des volumes géométriques de Michael Simon, des parallélépipèdes cuivrés notamment, dont les déplacements subtils délimitent les espaces, rapprochent, opposent ou séparent les protagonistes. C’est un univers abstrait qui s’impose par son pouvoir de suggestion. Mais ce qui sculpte l’espace, ce qui crée des atmosphères incroyables, ce qui est décisif dans notre fascination et dans notre adhésion au spectacle, ce sont les lumières de Valerio Tiberi. Elles sont extraordinaires. Une démonstration incontestable de leur pouvoir dramaturgique.

Le conte est bon : « Siegfried » de Richard Wagner à La Monnaie

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Tout commence par des images projetées d’enfants réunis dans un atelier de dessin ; tout s’achève par des images projetées de dessins de ces enfants. Ce qu’ils ont dessiné : les protagonistes d’un conte.

Ce conte, nous allons en vivre les péripéties ; ce conte, c’est le Siegfried de Richard Wagner, du moins tel que Pierre Audi l’a conçu et mis en scène.

C’est un conte initiatique, un récit d’apprentissage, l’histoire d’un jeune homme en quête de ses origines, en quête de son identité, en quête de la mission qui l’attend. Une quête compliquée, rendue problématique par des personnages hypocrites, malfaisants, retors, qui veulent se servir de lui pour assouvir leurs désirs -ainsi le nain Mime. Une quête qui ne sera possible que grâce à la réussite d’une épreuve déterminante : vaincre le dragon Fafner, gardien d’un anneau magique, d’un heaume magique et d’un trésor. Une quête qui obligera à « se débarrasser du père » en neutralisant Wotan et sa lance. Une quête facilitée par l’intervention d’un oiseau bienvenu. Une quête qui s’accomplira dans la délivrance d’une jeune femme (condamnée lors de l’épisode précédent de La Walkyrie), Brünnhilde, celle qui le révélera définitivement à lui-même dans un amour transcendant réciproque.

Oui, c’est un beau conte à la belle trame linéaire, immédiatement lisible, captivant dans ses péripéties, dans les identifications-répulsions qu’il provoque pour ses personnages, avec ce qu’il faut d’inquiétude et de satisfaction, de prodige et d’émerveillement.

Scéniquement, cela se concrétise notamment avec l’une de ces grandes installations qu’affectionne le metteur en scène : on se souviendra de « l’espace rouge » d’Anish Kapoor pour Pelléas et Mélisande ou de l’immense croix pour Tosca. Cette fois, il s’agit d’une grande structure arborescente omniprésente, soudain trouée de lumières, soudain autrement colorée. Il y a aussi l’immense néon-lance de Wotan-épée Nothung, ou encore le petit personnage-oiseau couvert de plumes… et quelques peluches nounours-doudous.

Oui, mais c’est du Wagner, me direz-vous, sans doute surpris de ne pas voir apparaître une abondance de paratextes, de sous-textes, d’allusions-connotations en tous genres socio-politico-psychanalytico-philosophico-etc. Eh bien, oui, ce Wagner-là se vit avec le regard retrouvé d’un jeune enfant confronté aux émerveillements d’un conte. Bien sûr, quand on le revit en soi chez soi, on y (re)trouve toutes sortes de prolongements en tous ces genres-là. Mais ils ne nous ont pas été imposés.

Le bonheur de cette production est qu’on s’y abandonne !

Cette façon de traiter l’œuvre, si elle est un choix, est aussi la conséquence d’un contexte de création : on le sait, Pierre Audi a joué au dépanneur. Il a accepté de poursuivre cette Tétralogie que La Monnaie n’a pu mener à son terme comme elle l’espérait avec Romeo Castellucci. Il lui a donc fallu travailler dans l’urgence, aller à un certain essentiel. Un bel essentiel dans la mesure où il nous permet de vivre sans filtre la partition wagnérienne, de pouvoir l’apprécier dans toutes les richesses de ses pages instrumentales et vocales.

A La Monnaie, « Rivoluzione e Nostalgia » : Verdi x 16 = Prima la Musica !

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A La Monnaie, Krystian Lada, concepteur, scénographe, metteur en scène, et Carlo Goldstein, directeur musical, ont eu l’idée de refaire avec Verdi ce qu’Olivier Fredj et Francesco Lanzillotta avaient si bien réussi la saison dernière avec leurs Bastarda I et II : proposer une œuvre originale « inentendue » fondée sur les opéras « Tudor » de Gaetano Donizetti.

C’est ce qu’on appelle un « pasticcio » : regrouper toute une série d’airs issus de toute une série d’opéras et les combiner dans une intrigue nouvelle. Une façon de faire qui eut son moment de gloire à l’époque baroque italienne. 

Cette fois, les airs proviennent des seize premiers opéras de Giuseppe Verdi, ses « opéras de jeunesse ». Je les cite pour que vous fassiez le compte de ceux que vous avez entendus en tout ou en partie et de ceux dont vous connaissez juste le titre : Oberto conte di San Bonifacio, Un Giorno di regno, Nabucco, I Lombardi alla prima crociata, Ernani, I due Foscari, Giovanna d’Arco, Alzira, Attila, Macbeth, I masnadieri, Jérusalem, Il corsaro, La battaglia di Legnano, Luisa Miller, Stiffelio.

Ces airs, ils en ont fait les pièces d’un puzzle, d’un double puzzle en fait. 

Le premier intitulé « Rivoluzione ». Nous voilà en Italie en 1968, avec des jeunes gens engagés dans les soubresauts des luttes sociales et politiques d’alors -ça, c’est pour le sociétal- et dans des circonvolutions amoureuses -ça c’est pour le sentimental. On le sait en effet, le collectif se conjugue toujours avec l’individuel. La question posée : « Que restera-t-il de notre époque ? »

Le second, « Nostalgia », nous invite à les retrouver quarante plus tard. La question : « Que reste-t-il des idéaux d’antan ? »

C’est alors qu’on me permettra d’évoquer le fameux débat du Capriccio de Richard Strauss. A l'opéra, qui l’emporte : « prima la musica » ou « prima le parole » ? Pour moi, en ce qui concerne ce projet Rivoluzione e Nostalgia, c’est incontestablement la « musica » !

Quel bonheur d’entendre cette sélection d’airs et d’intermèdes musicaux, en quelque sorte libérés des tours et détours de leurs intrigues respectives. D’être ainsi confrontés à de déjà si grands moments verdiens. Verdi dépasse ce qui l’influence encore, il est déjà bien engagé sur le chemin de celui qu’il va devenir au cours de sa longue carrière.

« Le Nez » de Dmitri Shostakovich : du cauchemar à la réalité #MeToo

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 A La Monnaie, avec Le Nez de Dmitri Shostakovich mis en scène par Alex Ollé, le public se retrouve immergé dans le monde des rêves, dans un cauchemar plutôt, pour soudain, dans les dernières minutes de la représentation, être confronté au monde d’aujourd’hui -buildings, bureaux, hommes d’affaires, à la réalité #MeToo.

Le Nez est le premier opéra, en trois actes et dix tableaux, de Dmitri Shostakovich. Son livret est inspiré d’une des « Nouvelles de Pétersbourg » de Nicolaï Gogol. L’opéra est créé le 18 juin 1930 au Théâtre Maly de Léningrad. 

Son « héros », Kovalyov, se réveille un matin… sans son nez ! Horreur ! Il se met donc à sa recherche, ce qui lui vaut toutes sortes de rencontres, toutes sortes de mésaventures. Chez Gogol, la nouvelle était le prétexte à une satire de la société pétersbourgeoise de l’époque tsariste. Kovalyov considère la perte de son nez comme une débâcle sociale ; celui-ci, en toute autonomie, se donne vite à lui-même un beau rôle public ; quant aux personnes rencontrées, elles sont typiques d’un univers aussi ridicule et violent que corrompu. Mais cet opéra est composé et créé à la fin des années 1920… et la satire apparaît vite comme destinée à dénoncer le nouveau système qui s’est mis en place… le système soviétique de plus en plus incarné par le Petit Père des Peuples, par Staline. On comprend donc que l’œuvre ne connaît que seize représentations à l’époque et ne sera plus jouée en Union Soviétique avant 1974.

Alex Ollé met en scène ce Nez. Kovalyov rêve la perte de son nez, vit un cauchemar. Ce que le public découvre sur le plateau, c’est effectivement un univers de cauchemar. Dans une scénographie et une caractérisation des personnages très Ollé Ollé (!). 

Cav oui, Pag non

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Cavalleria Rusticana
(Mascagni)
Pagliacci
(Leoncavallo)

Les deux emblèmes de la "Giovane Scuola", parus en 1890 et en 1892, ont immédiatement conquis le public, et sont devenus, pour toujours, les symboles du naturalisme italien : le vérisme. Leur succès se comprend tout à fait, leur couplage aussi.

Décidément, Macbeth n'a pas de chance à La Monnaie

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© Bernd Uhlig

La production de Macbeth (Verdi), mise en scène par Warlikowski en 2010, était désolante, à mes yeux, et cette nouvelle mise en scène d'Olivier Fredj ne m'a pas davantage convaincu. Comment est-ce possible, alors que la pièce de Shakespeare reste l'une des plus extraordinaires qui soient, l'une des plus parlantes aussi, au-delà des siècles ? Je ne comprends pas.