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Andrea Chénier à l’auditorium de Lyon

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Avant que de jouer au Théâtre des Champs Elysées vendredi prochain, l’orchestre et le chœur de l’opéra de Lyon ont joué à l’auditorium de leur ville une version de concert d’Andrea Chénier d’Umberto Giordano. Si la distribution avec Anna Pirozzi en Madelaine de Coigny, Amartuvshin Enkhbat en Carlo Gerard et Riccardo Massi en Andrea Chénier est fort appréciable, l’attribution des rôles secondaires à des chanteurs sortis du Lyon Opéra Studio est au moins aussi intéressante. Belle idée en théorie donc, mais en pratique la salle de l’auditorium n’est absolument pas faite pour ce genre de concert. Plus conçue pour des masses comme les orchestres et les chœurs, les chanteurs se font ici tellement facilement avaler, que la tenue des mezzos comme Thandiswa Mpongwana en Bersi ou de Sophie Pondjiclis en Comtesse de Coigny, la clarté des ténors Robert Lewis en Abbé et de Filipp Varik en Incroyable, ou l’assise des basses de Pete Thanapat en Roucher ou de Kwang-Soun Kim en Fouquier-Tinville, ne sont véritablement appréciables que lorsque l’intensité orchestrale baisse, ce qui n’arrive qu’à partir du troisième acte. Le premier perd en compréhension, et le deuxième ne tient que par la suavité de Chénier à cause de cet effacement acoustique. Nonobstant, la retenue de Sophie Pondjiclis est particulièrement sensible au troisième acte durant la scène, où sa Madelon sacrifie son dernier enfant à la Révolution.

Il faut dire que l’orchestre est particulièrement rutilant sous la direction de Daniele Rustioni. Étincelant de mille feux, il donne des éclats particulièrement vifs à la Terreur naissante. Ayant aussi parfaitement compris la façon lugubre, mordante et même cynique dont Giordano ponctue l’opéra de chants révolutionnaires, il semble aussi brûlant et chamarré qu’une lave en fusion. Son somptueux incendie orchestral est indéniablement une des plus grandes qualités de cette représentation. Et les chœurs sous la direction de Benedict Kearns, tantôt mixte pour un effet de foule, tantôt d’hommes pour imposer une force virile, tantôt de femmes pour plus de douceur, ne sont pas moins réussis.

A Lausanne, un étourdissant Orphée aux enfers

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Pour les fêtes de fin d’année, l’Opéra de Lausanne propose Orphée aux enfers dans la seconde version que Jacques Offenbach présenta au Théâtre de la Gaieté le 7 février 1874 en la désignant comme opéra-féerie en 4 actes et 12 tableaux et incluant une ouverture.

En collaboration avec le Grand Théâtre de Tours et le Capitole de Toulouse, Eric Vigié en commande une nouvelle production à Olivier Py qui s’en donne à coeur joie en demandant à Pierre-André Weitz un décor simple consistant en un double mur de loges à trois étages entourant une scène et d’extravagants costumes se mêlant aux crinolines et uniformes militaires du Second Empire. Sous d’habiles jeux de lumières conçus par Bertrand Killy, l’action endiablée vous tient continuellement en haleine avec cet Orphée en jaquette noire et perruque blonde obligeant sa mégère de femme à écouter son nouveau concerto interminable qu’elle tente d’interrompre en dérobant le lutrin et en s’emparant du violon qu’elle finit par casser avant de rejoindre son tendre Aristée en salopette de plombier au milieu des blés où la morsure d’un serpent lui ravira la vie. Un squelette en moto déroule une copie du Jardin des Délices de Hieronymus Bosch devant laquelle Aristée se transformera en Pluton, queue de pie et haut de forme, entraînant la mortelle aux enfers, au grand dam de l’Opinion publique, virago en imperméable, réprouvant cet outrage à la morale établie. Orphée est contraint de quitter sa classe de violonistes en herbe et son chœur d’enfants afin de retrouver son épouse dans l’au-delà. Mais dans les sphères éthérées de l’Olympe, l’on s’ennuie fermement à savourer l’ambroisie sous le regard courroucé de ce Jupiter/Napoléon III qui s’emploie à mater la révolte de ses ingrats sujets arborant cocarde et drapeau tricolore, tout en tolérant leur raillerie sur ses métamorphoses passées que voudrait balayer rageusement sa Junon/Eugénie d’épouse. De la plus haute cocasserie, le boudoir de Pluton où Jupiter, transformé en bourdon par les bons soins d’un Cupidon déjanté,  se trouve suspendu dans les airs pour happer cette Eurydice qu’il veut dérober à son frère. Les bouches de l’Enfer laissent couler à flots le vin des bacchanales incitant  les damnés à danser le menuet ou à se livrer au cancan le plus… infernal dans une chorégraphie émoustillante d’Ivo Bauchiero, tandis que dans la fosse, le Sinfonietta de Lausanne pétille sous la baguette d’Arie van Beek qui se soucie d’équilibrer au mieux son plateau en évitant les décalages.

On purge bébé ! : le malicieux clin d’œil final de Philippe Boesmans

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Philippe Boesmans (1936-2022) : On purge bébé !, opéra en un acte. Jean-Sébastien Bou (Bastien Follavoine), Jodie Devos (Julie Follavoine), Denzil Delaere (Aristide Chouilloux), Sophie Pondjiclis (Clémence Chouilloux), Jérôme Varnier (Horace Truchet), Tibor Ockenfels (Bébé-Toto), Martin da Silva Magalhães (l’enfant Toto) ; Orchestre symphonique de la Monnaie, direction Bassem Akiki. 2022. Notice et synopsis en français et en anglais. 80’00’’. Un CD Fuga Libera FUG 818.

En avant, la musique : « On purge bébé ! » de Philippe Boesmans

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A La Monnaie, ces jours-ci, un « opéra de boulevard » se révèle être une excellente façon de célébrer la mémoire, de saluer l’importance de son compositeur, Philippe Boesmans, qui nous a quittés en avril dernier (et qui n’a pas eu le temps de mettre lui-même la dernière barre de mesure à l’œuvre, conclue en belle fidélité, en toute affection et reconnaissance, par Benoît Mernier).

C’est Philippe Boesmans lui-même qui a voulu mettre en opéra « On purge bébé ! » de Georges Feydeau. Un peu à la manière de Giuseppe Verdi, concluant, quasi au même âge, toute une vie de tragédies par l’énorme farce de Falstaff : ainsi donc On purge bébé ! après La Passion de Gilles, Reigen, Wintermärchen, Julie, Yvonne, Princesse de Bourgogne. Le Feydeau est une toute petite pièce, un peu comme les griffonnages qu’ont laissés certains grands peintres sur un bout de papier, une œuvre « en marge ». Monsieur Follavoine entrevoit le couronnement de sa carrière de porcelainier : livrer des milliers et des milliers de pots de chambre à l’armée française… des pots de chambre incassables, prétend-il. Mais c’est sans compter avec un problème domestique « d’envergure » (du moins, c’est ainsi que sa femme le considère) : Bébé « n’est pas allé », bébé est constipé, il faut donc purger bébé ! Voilà qui suffit à déclencher la mécanique-Feydeau avec le surgissement du militaire responsable des achats, qui est, c’est un lieu commun du genre, « cocu, cocu, cocu », et de sa femme accompagnée de son « cousin », son amant en fait.

Dialogues des Carmélites, chef-d'oeuvre de Poulenc

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Nabil Suliman (Le-Geôlier),Véronique Gens (Madame Lidoine), Angélique Noldus (Soeur Matilde), Mireille Capelle (Mère Jeanne) ©Baus.jpg

Loin des fresques flamboyantes adoptées pour Les Huguenots (2011) ou Hamlet (2012) sur cette même scène de La Monnaie, Olivier Py approche le chef-d'oeuvre de Poulenc avec toute l'épure et la sobriété attendues. Et ce, dès le deuxième tableau du premier acte, lors de l'entrée dans les ordres de Blanche, saisissante. Coproduit par le Théâtre des Champs-Elysées, où ils furent créés en 2013, ces Dialogues des Carmélites impressionnent.