Une liturgie pacifiste au Festival Jordi Savall : « Musique et psaumes pour la paix intérieure et extérieure »
Ce grand gambiste barcelonais est devenu un des porte-faix les plus emblématiques de la culture catalane à travers le monde. Sans jamais descendre dans l’arène politique, il a pris l’indispensable et salutaire habitude de fustiger nos consciences et celles de nos dirigeants face aux misères et malheurs de notre monde actuel, aussi riche en technologies et connaissances scientifiques que pauvre en références éthiques ou principes déontologiques. Il ne pouvait, dès lors, rester indifférent face aux actuels conflits armés en Europe ou ailleurs et il nous a concocté un programme obsessivement rempli d’appels à la paix, en réitérant inlassablement ce « Da pacem Domine » des chrétiens à travers différentes époques et compositeurs, saupoudré d’invocations pacifistes en hébreu, en langue « mochica » du Pérou ou en arabe de Palestine, pour finir avec un nouveau « Da pacem Domine », commandé en 2004 par Savall à l’Estonien Arvo Pärt. Quand on pense que, aujourd’hui même, le pianiste anglais Jayson Gillham s’est vu refuser un concert à Melbourne pour s’être prononcé en mémoire des journalistes morts à Gaza, on constate à quel point une polarisation délétère envahit le monde de notre culture.
Le célèbre ensemble « Hesperion XX » était formé cette fois-ci par un « consort of viols » dans la vieille tradition britannique, accompagnés par le théorbe du Flamand Stan Geudens et la percussion imaginative de l’Espagnol David Mayoral. Déjà, dans ses huit instrumentistes, il m’a semblé compter au moins cinq ou six nationalités, un petit emblème de la concorde que la musique peut et doit nous offrir. La « Capella Reial de Catalunya » était hier constituée d’un double quatuor vocal avec plusieurs de ses chanteurs les plus fidèles dont le ténor Lluís Vilamajó qui prépare habituellement cet ensemble et qui est capable d’obtenir des voix une plasticité sonore tout à fait remarquable. Il a dirigé lui-même les ensembles exclusivement vocaux comme celui de Gilles Binchois, un prodige de richesse contrepuntique qui semble vouloir mettre en musique les volutes du gothique flamboyant, ou celui de Salomone Rossi Ebreo, un polyphoniste juif vénitien du XVIe dont la merveilleuse musique continue d’être chantée de nos jours dans les offices de quelques synagogues. Le paradoxe, c’est que ses œuvres furent connues grâce aux travaux d’un jeune Vincent d’Indy qui les publia à Paris en 1877, une commande du célèbre Cantor synagogal Samuel Naumbourg. Quelques années après… le même d’Indy se rangea du côté des antisémites les plus notoires ! Rossini, pour sa part, appréciait les compostions de ce même Naumbourg.