Interviews
Le compositeur anglais Kenneth Hesketh, comme nombre de ses compatriotes, a développé un goût pour l’art de l’orchestration. Nous avons déjà parlé dans ces colonnes de ses réalisations sur Dutilleux et Ravel . Il nous revient avec une nouvelleorchestration des Sites auriculaires (commande du BBC Philharmonic et de l'Orchestre national du Capitole de Toulouse / Festival Ravel), qui sera jouée en création française au Festival Ravel après avoir été jouée à Manchester, Barcelone et Seattle. L’Orchestre national du Capitole de Toulouse sera placé sous la direction de Tarmo Peltokoski, son directeur musical.
Que représente Ravel pour vous ?
Ravel, pour moi, représente un certain nombre de caractéristiques : la précision, l'élégance, et une certaine douceur, peut-être un lien avec l'enfance, bien sûr la sensualité, et je dirais aussi un travail minutieux, comme celui d'un artisan, dans chaque école, du moins dans celles que je connais.Quelle a été votre première rencontre avec la musique de Ravel ? Ma première rencontre avec la musique de Ravel, assez amusante, s'est faite par la musique russe, plus précisément par les Ballets russes de Diaghilev, dont j'ai toujours été un grand fan, et j'ai lu je ne sais combien de livres sur le sujet. Donc, bien sûr, à travers des gens comme Rimsky-Korsakov et Stravinsky, on arrive bien sûr à Daphnis et Chloé qui fut la première partition de Ravel que j’ai rencontré.Est-ce que Ravel vous a influencé comme compositeur ?
L'influence de Ravel sur mon travail de composition ne tient pas seulement à la nature coloristique de son écriture instrumentale, ni à son approche de l'harmonie. Mais je pense aussi à son amour pour l'enfance, comme par exemple à son amour pour le son de la cloche. Enfant, j’ai été chanteur, dans le chœur de cathédrale et chaque semaine, j'entendais des cloches. J'entendais de la musique d'un orgue français, car l'orgue lui-même était un grand orgue français romantique. La musique française, en soi, a été l'une des premières influences de mes propres compositions.L’amour de Ravel n’est-il pas très répandu en Angleterre, tout comme celui pour d’autres compositeurs français comme Berlioz ? Il y a beaucoup de francophiles en Angleterre qui ont une très haute considération pour la musique de Ravel. Ravel, de son vivant, avait déjà des connexions avec l’Angleterre comme son amitié avec son collègue Ralph Vaughan Williams. Ces deux compositeurs s'estimaient beaucoup. Ravel a été élevé au titre de doctoreur honorifique de l'université d'Oxford en 1928 et il y a d'ailleurs la célèbre photographie où l’on voit Ravel en toge. L'œuvre de Ravel était déjà bien jouée dès les années 1920-1930 en Angleterre et cette attrait pour son oeuvre se prolonge de nos jours. Des compositeurs contemporains comme Oliver Knussen ont été influencés par l’art de Ravel et puis il y a des interprètes comme le chef d’orchestre John Wilson qui réalise un travail formidable sur l'œuvre de Ravel avec son orchestre le Sinfonia of London.
Donc oui, il y a un ensemble d’éléments, prenant racine dans l’histoire, qui font que Ravel est très apprécié en Grande-Bretagne.
Est-ce que l’on a le droit d'orchestre de la musique de Ravel sans lui demander son avis ?
C’est une querstion très intéressante et amusante ! Ravel a orchestré des œuvres de Moussorgski, Schumann, Chabrier…sans leur demander leur avis….Quand on entend des orchestrations de Ravel, on remarque et on entend d'emblée qu’il est profondément respectueux de la partition d'origine. Mais, on peut également dire cela d’autres compositeurs comme Caplet qui a orchestré Debussy ou Respighi qui a orchestré Rachmaninov. Donc oui, je pense que l’on peut bien sur orchestrer Ravel mais sans dénaturer l’essence des œuvres.
Florence Bolton, fondatrice et directrice artistique de l’Ensemble La Rêveuse, fait paraître le quatrième et dernier album d’un projet éditorial autour de Londres. C’est une évocation musicale de la ville, au fil d’une sélection de dates du XVIIIe siècle. Crescendo-Magazine est heureux de s’entretenir avec cette musicienne qui aime sortir des sentiers battus.
Avec ce volume “London 1760”, vous clôturez une série d'albums consacrés à Londres : en 1700, 1720, 1740 et donc 1760. Qu’est-ce qui vous a motivé à élaborer ce concept éditorial chronologique et en particulier par rapport à Londres, et pas une autre grande ville européenne ?
Nous avions envie de consacrer une série à une ville européenne mais nous hésitions entre Paris, Hambourg, Dresde ou Londres. C’est le Brexit qui, finalement, nous a donné l’envie de choisir Londres. Notre idée, entre autres, était de montrer que Londres, loin d’être une ville insulaire, fermée aux étrangers et repliée sur elle, comme l’idée du Brexit pouvait le laisser imaginer, a été au XVIIIe siècle une ville dont la culture a, en grande partie, été faite par les étrangers.
Londres a, par ailleurs, une histoire culturelle particulièrement intéressante car les modèles de financement de la culture y sont déjà « modernes », comparés aux autres grandes villes européennes : le mécénat royal des rois George, assez insignifiant, oblige les artistes à chercher ailleurs et la culture devient alors un produit commercial comme un autre. C’est un business et, en ce sens, ce système n’est pas si éloigné de ce que nous avons aujourd’hui.
Dans ce projet, nous avions, nous musiciens, envie de montrer que l’histoire de la musique, des modes instrumentales, de l’organologie, etc.. Est-elle aussi un témoin à part entière de l’histoire d’un pays. Nous avons maintes fois observé que l’histoire des arts n’est pas toujours prise en compte dans les recherches historiques et, quand elle l’est, on parle surtout de littérature, de peinture. On parle hélas encore trop peu de la musique, c’est le parent pauvre.
Ce projet ne pouvait pas se faire sur un seul disque car le contenu aurait été trop simplifié et nous avons alors imaginé faire un album par tranche de 20 ans. C’est une période qui est suffisante pour apporter du nouveau, du changement dans la société et la musique.
Par rapport à ce nouvel album, il est dit dans le livret que l’année 1760 est un tournant de l’histoire ? Qu’en est-il en musique ?
Deux événements majeurs arrivent au tournant de 1760 : la mort de Haendel, qui est la locomotive musicale du pays depuis bientôt 40 années, et la mort du roi George II, roi peu mélomane mais qui a toujours soutenu Haendel, qui était déjà le musicien de son père, George I.
La mort de Haendel, c’est tout un monde qui s’effondre et qui laisse un grand vide. Le compositeur était autant apprécié à Londres que sur tout le territoire du Royaume-Uni, où, même dans les coins les plus reculés, chaque chorale ou chaque petite société de musique locale donnait chaque année des extraits du Messie ou d’un autre oratorio. Haendel est une figure tutélaire pour tous, même dans les lieux où l’on n’a pas accès aux grands artistes. Cette vacance ne demande qu’à être comblée à nouveau et de nombreux compositeurs et musiciens se mettent à rêver. Beaucoup font le voyage jusqu’à Londres mais se hisser à la hauteur de Haendel demande un grand talent musical et des appuis politiques. Londres montre ses ors et son faste mais un certain nombre de candidats vont alors connaître l’envers du décor, une vie difficile passée à donner des leçons à des dames riches et souvent radines et à faire de petits concerts auto produits qui ne rapportent pas grand-chose.
Deux compositeurs allemands vont cependant parvenir à faire souffler un vent nouveau dans la musique : Carl Friedrich Abel, qui arrive à Londres en 1759, et Johann Christian Bach, le dernier fils de Jean-Sébastien, qui débarque un peu plus tard, en 1762.