The Line #3 : un certain art de la programmation
Troisième de sa propre saison, le concert de l’Ensemble Hopper, ce soir au Mom, dont la scène est fendue de lignes vertes fluorescentes qui, tels les néons mauves de discothèque soulignant de leur fantasmagorie obscure dents blanchies et pellicules sur vestes noires, accentuent l’éclat des bretelles jaunes de Rudy Mathey (clarinettes) ou des lacets de Roxane Leuridan (violon), prend le nom de la pièce-phare du programme, Lichtbogen, réservée au final, alors que l’ouverture du bal (et plus puisqu’il apporte trois oeuvres) est aux mains de Zeno Baldi (1988-), jeune compositeur italien invité par l’ensemble.
Décalage, commande de l’ensemble créée en 2019, pour laquelle un décompte sur écran guide François Deppe qui guide Hopper, est tendue sur une électronique pulsatile, irréelle et ferroviaire, sur laquelle se greffent, comme par attouchements incertains, les 8 instrumentistes : le ton est métallique, résonne comme dans l' espace clos et démesuré d’un atelier de maintenance. Du même Baldi, pour une durée similaire, Bonsaï, tout aussi accrocheur mais replié sur une dimension restreinte, s’intéresse, son titre lève toute ambiguïté, au soin, patient et précis, que requiert un arbre petit pour un temps infini : tremblements comme sur ressorts, frottements des balais sur la timbale, les sons naissent, croissent, ploient et se replient, contraints par un volume avare. Après la pause (le bar est ouvert), l’émouvant Principio di Archimede, troisième pièce de Zeno Baldi, succède au Wasserklavier de 1965 de Luciano Berio (1925-2003) -dont le piano accole modernité et nostalgie, et cotoie, dans le cycle Six Encores, les éléments frères, air, feu et terre-, aborde aussi le concept de l’eau, de la mémoire submergée, mais avec cinq instruments et sous l’angle tragique du noyé en passe d’immigrer, dont l’absence de vie se brouille du flux infini de la haute mer.
Pour électronique en temps réel et ensemble, Iconica IV, du compositeur Marco Momi (1978-), né à Pérouse, déroule au long de six miniatures, un séditieux chapelet de fulgurances empêchées, comme les flammes d’un feu tendent la langue, vrillent et se replient sur le matériau qu’elles dévorent et desquels elles tirent une vivacité périssable : tendu, presque frustré (mais ravi des sons perçus), on entrevoit l’issue sans vraiment l’atteindre -sauf peut-être quand, à la toute fin, le piano prend la main et conclut. Lichtbogen, récompensé en 1986 par le Kranichsteiner Musikpreis, est probablement la pièce de Kaija Saariaho (1952-2023) qui ouvre à la compositrice finlandaise une perspective spécifique au sein du mouvement spectral, elle qui explore alors l’axe timbral, digue entre une texture « bruitée et grenue », dissonante, et une texture « lisse et limpide », consonante : inspirée par l’observation d’une aurore boréale dans le ciel arctique, Saariaho mêle deux outils informatiques pour nourrir rythme et matériau harmonique, et produire des sonorités spatiales, fuyantes, dont les glissements lumineux dans l’air glacé s’imposent à nos yeux.
Avec une programmation faite de découvertes et de confirmations, les musiciens de l’Ensemble Hopper, à la scène et au bar, consolident, à chaque étape, intérêt et engouement, curiosité et sympathie.
Le Mom, Liège, le 23 septembre 2024
Bernard Vincken
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