The Rape of Lucretia de Britten enregistré à Aldeburgh

par

Benjamin BRITTEN
(1913-1976)
The rape of Lucretia

Angela KIRCHSCHLAGER (Lucretia), Ian BOSTRIDGE (choeur masculin), Susan GRITTON (choeur féminin), Christopher PURVES (Collatinus), Benjamin RUSSELL (Junius), Peter COLEMAN-WRIGHT (Tarquinius), Hilary SUMMERS (Bianca), Claire BOOTH (Lucia), Aldeburgh Festival Ensemble, dir.: Oliver KNUSSEN
2011-DDD-Live-46'35 et 58'58-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Virgin 6026722 (2cd)

Le répertoire lyrique anglais, à l'instar des opéras russes, a toujours peiné à se faire une popularité dans les pays continentaux d'Europe occidentale. Seuls des interprètes d'exception ont pu pousser notre curiosité à franchir cette frontière invisible, cette réticence involontaire vis-à-vis d'une musique que nous sentons a priori fort éloignée de notre sensibilité, de nos racines. Pour chanter Rimsky-Korsakov, Borodine ou Glinka, il y a eu toute la grande école soviétique: les immenses chanteurs que furent les Lemeshev, Kozlowsky, Maslennikova, Obukhova, Lisitsian, Reizen, Pirogov, les grands chefs de scène, Nebolssine, Khaikin, Bron et Golovanov en tête, qui, avec des décennies de retard, communisme oblige, nous font aujourd'hui apprécier sans heurts ces merveilles. Pour Britten, il y a eu avant tout Peter Pears qui fut de la partie pour la quasi totalité de ses créations lyriques et sans qui, probablement, le compositeur de Peter Grimes n'aurait jamais rencontré le succès qui le hisse aujourd'hui au niveau de popularité d'un Bartok, d'un Stravinsky ou d'un Chostakovitch parmi les grands créateurs du 20ème siècle. Ponctuellement, d'autres très grands noms ont contribué à la diffusion des ces pages: Joan Cross, Heather Harper, entre autres, et surtout l'inoubliable – et inattendue – Kathleen Ferrier, précisément pour ce Viol de Lucrèce qu'elle a su magnifier comme personne. A vrai dire, elle a tant personnifié le rôle (que le disque a conservé intégralement) qu'on ne peut imaginer écouter cet opéra rare sans se remémorer ses accents inoubliables. Les enregistrements de Britten lui-même en 1970, ainsi que celui de Hickox, publié en 1994 et dernier en date, sont également des réussites absolues. C'est donc à cette concurrence limitée mais d'une rare qualité que la nouvelle venue devait se confronter. Celle-ci cumule d'emblée plusieurs atouts. Tout d'abord, elle a été captée au festival d'Aldeburgh que Britten lui-même, entouré de Peter Pears et de tant d'amis tels que Richter ou Fischer-Dieskau, a porté à bout de bras pendant presque trois décennies. Près de 40 ans après la disparition du compositeur, le même esprit semble toujours y souffler. Il y règne en tout cas une atmosphère très particulière, qui nous ramène instantanément à quelques soirées restées célèbres. La direction d'Oliver Knussen, très précise et en même temps d'une belle vitalité, contribue à préserver ce climat. Du côté des chanteurs, on soulignera tout particulièrement l'excellente Lucretia de Angela Kirchschlager dont le timbre rappelle parfois, de manière troublante, celui de Kathleen Ferrier elle-même. Et comme elle, elle possède ce mélange de distanciation et d'intensité si particulier. Le reste de la distribution est correct, chacun s'appliquant de son mieux, un peu trop, peut-être, et l'on regrettera une nouvelle fois le style de Ian Bostridge, fidèle à lui-même, c'est-à-dire trop précieux et mal chantant. Dans l'ensemble cependant, une fort belle réussite qui permet de prendre connaissance avec l'oeuvre, ce qui ne devrait dispenser personne d'aller ensuite voir du côté des deux autres références citées.
Bernard Postiau
Son 9 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 9

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