Tourcoing célèbre Le Carnaval de Venise dans une mise en scène éclatante
La nouvelle production de La Co[opéra]tive, avec l’Ensemble Il Caravaggio sous la direction de Camille Delaforge, Le Carnaval de Venise d’André Campra, fait escale à Tourcoing après Besançon, Compiègne, Grenoble et Sénart. Hasard du calendrier, ces deux représentations coïncident précisément avec le week-end du carnaval, dont les festivités restent particulièrement vivantes dans le Nord.
Créé en 1699 à l’Académie royale de Musique, cet opéra-ballet a été ressuscité en France en 1975 lors du Festival d’Aix-en-Provence, dans une mise en scène de Jorge Lavelli. Depuis, bien que certaines œuvres de Campra aient été reprises à l’occasion – notamment Les Fêtes vénitiennes en 2015 à l’Opéra Comique et Idoménée en 2021 à l’Opéra de Lille, toutes deux couronnées de succès – son nom demeure rare sur les scènes françaises. L’initiative de La Co[opéra]tive, qui a déjà mis en lumière des œuvres peu jouées comme Les Enfants terribles de Philip Glass ou la création comme Les Ailes du désir d’Othman Louati, mérite donc d’être saluée.
La mise en scène est confiée à Clédat & Petitpierre, « sculpteurs, performers, metteurs en scène et chorégraphes ». Pour leur première incursion dans l’opéra, ils proposent un univers poétique et coloré, peuplé de personnages de la commedia dell’arte. Tous les protagonistes sont vêtus de beaux costumes d’Arlequin et de Colombine, incarnant des figures symboliques des sentiments humains.
Dans un décor géométrique évoquant un jardin labyrinthique à la française, cinq Polichinelles occupent en permanence la scène, en étant tantôt acteurs, tantôt spectateurs. Présents dès avant le début du spectacle, ils observent le public s’installer, interagissant parfois avec lui. Ils interviennent également brièvement dans l’orchestre juste avant l’entracte, adressant des signaux aux musiciens tout en s’adressant à la salle. Ainsi, les Polichinelles jouent le rôle de passeurs entre la scène et le public, leurs regards se mêlant à ceux des spectateurs. Avant tout, « Ce qui nous touche particulièrement dans le Carnaval, ce n’est pas tant l’histoire […] mais plutôt tout ce qui est mis en place autour pour la raconter », affirme le duo comme l’idée conductrice de la mise en scène merveilleusement stylisé.
L’Ensemble Il Caravaggio s’empare avec brio d’un savant mélange de tragédie lyrique, d’opéra-ballet et d’opéra-comique. Camille Delaforge manie avec finesse cette partition riche et contrastée, alternant styles français et italiens, tempos vifs et apaisés, caractères alertes et languissants. Sa direction, souple et précise, parvient à faire résonner avec ampleur un orchestre de petite taille (une vingtaine de musiciens), malgré l’acoustique sèche du Théâtre municipal Raymond Devos. La théâtralité des percussions, assurée par Laurent Sauron, mérite une mention spéciale, notamment dans la mise en abyme d’Orfeo nell’Inferi à l’acte III.
Carnaval oblige, tout se prête à la fête, y compris cet aventure d’Orphée aux Enfers. Orphée et les Polichinelles ajoutent, par leurs gestes, des touches comiques à ces scènes d’ordinaire graves et solennelles. Dans le même esprit, lorsque d’autres passages s’inspirent de la tragédie lyrique, les expressions corporelles des chanteurs sont subtilement exagérées, sans jamais tomber dans l’excès ni encore dans la caricature. On salue ainsi une direction d’acteurs qui, tout en puisant dans les références baroques, adopte une approche résolument moderne.
Dans le rôle d’Isabelle, Victoire Bunel convainc par la justesse de son phrasé et un timbre agréablement ample et sonore. En Léonore, Anna Reinhold peine d’abord dans l’articulation, mais gagne progressivement en aisance, culminant dans un bref mais marquant rôle d’Eurydice. Anas Séguin incarne un Léandre à la projection solide, conférant au personnage une véritable présence. Dans sa brève apparition en Orphée, David Tricou privilégie le registre comique tout en conservant un chant soigné et expressif. Guilhem Worms impressionne en Rodolphe avec une voix dense et puissante, qualité particulièrement adaptée à son rôle de Pluton, gardien des Enfers. Enfin, la droiture vocale de Clarisse Dalles incarne parfaitement La Fortune, tandis qu’Apolline Raï-Westphal confère à Minerve une touche d’humanité des plus plaisantes.
Grâce à un plateau vocal équilibré, de superbes décors et costumes, ainsi qu’une musique aux caractères variés, ce spectacle distrayant et festif offre un pur moment de plaisir. Les spectateurs futurs trouveront le même sourire à Châteauroux, Brest, Rennes, Quimper et Nantes jusqu’au début avril.
Représentation du 2 mars 2025, au théâtre municipal Raymond Devos, Tourcoing
Crédit photographique © Martin Argyroglo