Tout premier enregistrement intégral des agréables pages pour clavecin de François Krafft

par

François Krafft (1729-1795) : Divertimento en sol majeur Op. 5/2. Divertimento en sol majeur Op. 5/6. Six Sonates en sol majeur, ré majeur, ut majeur, si bémol majeur, fa majeur Op. 4. Douze Menuets. Jan Devlieger, clavecin. Ann Cnop, violon. Juillet 2022. Livret en anglais, allemand, français, flamand. TT 68’23 + 65’12. Et’Cetera KTC 1764

On salue la vocation patrimoniale de cette entreprise qui a pris temps et soin de revaloriser un compositeur lequel, parallèlement à Josse Boutmy, Jacques De Croes, Charles Joseph van Helmont, Willem Gommaar Kennis, documente la vie musicale belge au XVIIIe siècle. Car ce double-album s’annonce comme le premier enregistrement intégral de l’œuvre pour clavecin du Bruxellois François Krafft. Sa famille provenait d’Allemagne. Il conserva des liens avec cette patrie, comme en attesteraient certaines partitions éditées à Nuremberg ou Augsbourg. Ce legs témoigne d’une époque de transition stylistique, expliquant peut-être pourquoi il fut jusque-là délaissé par les micros, selon l’hypothèse de l’interprète dans sa notice. La mince notoriété du compositeur, du moins sa discrète postérité, et la valeur négligée de son catalogue constituant une autre piste.

Imprimé à Liège vers 1760, l’opus 4 manifeste la forme-sonate (exposition, développement, réexposition) en ses premiers mouvements, tandis que les finales courtisent la danse sous guise de menuet ou gigue. Les parties centrales, bithématiques, se veulent chantantes, et accueillent parfois un épisode à improviser (Larghetto de la Sonate en ut majeur). La dédicace de l’opus 5, présumée acquise à Charles-Théodore de Dalberg, né en 1744, aiderait-elle à dater ces six Divertimenti dont seulement deux nous sont parvenus, grâce à une postérieure compilation de clavecinistes flamands (1877) ? La manière galante s’y exprime autant que l’influence préclassique, voire quelques échos de la Cour prussienne (les fières Polonaises, où Jan Devlieger invite le jeu luthé). Ils peuvent se jouer avec violon, une option non retenue dans cet album, même si le sobre archet d’Ann Cnop (sur un instrument assourdi dont le diapason semblerait bien plus bas que celui du clavecin) concourt par ailleurs aux douze Menuets, comme le suggère leur titre appelant la contribution alternative d’un hautbois ou d’une flûte. Des pages sans grande prétention autre que le divertissement, réparties en quatre séquences sur les deux disques, comme autant d’intermèdes, et qui avaient déjà été abordées par Jan Devlieger (voir la discographie en appendice au livret).

D’une sonorité douceâtre, déployée sur deux claviers, la copie d’un Dulcken anversois de 1755 s’épand dans une acoustique baveuse là où on aurait pu préférer une perspective moins réverbérée pour ajuster la grâce de ces cahiers de salon. D’autant que certains moments (Allegro moderato du Divertimento en sol majeur, Spiritoso de la troisième Sonate…) flottent un peu dans des coutures qu’on imaginerait plus serrées, ou brigueraient davantage de poigne, de relance pour éviter que l’oreille ne fléchisse. On ne saurait cacher que l’autorité de la prestation devient parfois inévidente, notamment quand se réclame la fantaisie (Vivace de la Sonate en fa majeur, finale de la sixième), comme si les doigts hésitaient entre la franche virtuosité et la délicatesse, de peur de brusquer la prudence. Ces quelques relâchements flattent les pièces émollientes, ou reflètent leur platitude. Toutefois, l’interprétation ne manque pas d’un charme qui à lui seul suffit à ne point trop distendre l’intérêt de l’écoute, certes bornée par l’agrément. En tout cas, cette méritoire parution fait date dans la redécouverte d’un compositeur dont on aimerait aussi mieux connaître le répertoire sacré.

Son : 7,5 – Livret : 9 – Répertoire : 6-7 – Interprétation : 7

Christophe Steyne

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