Toute en légèreté, Angela Hewitt poursuit son exploration des sonates pour piano de Mozart

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Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Sonates K. 310 et 311 ; Fantaisies K. 396 et 397 ; Sonates K. 330 à 333. Angela Hewitt, piano. 2022. Notice en anglais, en français et en allemand. 155’ 55’’. Un album de deux CD Hyperion CDA68421.

Voici le deuxième double album que la Canadienne Angela Hewitt (°1958) consacre aux sonates pour piano de Mozart, après la parution, chez le même éditeur l’an dernier, des sonates K. 279 à 284, auxquelles venait s’ajouter la K. 309. Cette artiste, qui a aussi gravé pour Hyperion plusieurs concertos de Wolfgang Amadeus, avait, dans la première livraison, imprimé à ces partitions composées à Salzbourg, à Munich et sans doute à Mannheim en ce qui concerne la K. 309, un ton qui leur convenait à merveille, à la fois simple et intime, avec des couleurs mesurées et un toucher qui alliait la virtuosité à la fraîcheur. Le nouvel éventail, qui semble annoncer une intégrale, se présente lui aussi comme un vrai moment de bonheur pianistique.

Pour rappel, cette originaire d’Ottawa, qui a été une enfant prodige et se produisait dès l’âge de neuf ans, a étudié le piano au Conservatoire de Toronto avec le Français Jean-Paul Sevilla (°1934), mais aussi le violon et l’art de la danse, avant de poursuivre sa formation à Aix-en-Provence et de s’établir en France en 1980. Spécialiste de Bach (elle a remporté le Concours de Toronto qui porte son nom en 1985), elle a gravé des versions de référence de son œuvre, mais s’est aussi attachée à la musique française (Debussy, Ravel, Messiaen…), avec un succès salué par la critique. Avant d’aborder sa vision des Sonates de Mozart ici rassemblées, arrêtons-nous un instant sur les deux compléments au programme. Selon une pratique devenue habituelle chez elle, Angela Hewitt signe de copieux commentaires, y compris au niveau des dates de composition, d’après des recherches récentes. Elle propose les deux Fantaisies, en ut mineur K. 396 (inachevée et complétée par l’abbé Maximilian Stadler), et en ré mineur K. 397, des pages qu’elle a jouées dès son enfance, en particulier la seconde nommée qui était incluse dans son tout premier récital donné à Toronto lorsqu’elle avait neuf ans. Elle y voit un Mozart presque en microcosme, pour apprendre la dynamique, le sens du rythme, les gestes dramatiques, les harmonies expressives, le style improvisé, comment utiliser un son chantant. En appliquant à son interprétation ces caractéristiques énumérées, la pianiste insère ces deux fantaisies à la fin du premier CD, comme un hommage fervent à leurs accents méditatifs mais aussi dramatiques. 

Le programme a proposé avant cela les K. 311 en ré majeur (1777) et K. 310 en la mineur (1778), ainsi que la K. 330 en ut majeur, publiée en 1784, ce qui peut la faire dater des mois qui ont suivi le mariage avec Constance Weber en août 1782. Angela Hewitt aborde la première sonate, écrite à Mannheim, en évitant la tentation de la virtuosité facile que cette partition autorise, pour en souligner le contenu émotionnel, avec élégance et légèreté, deux adjectifs que nous attribuerons globalement au toucher de la virtuose. La K. 310, dans l’ombre du décès de la mère de Mozart à Paris en juillet 1778, partage des instants de révolte (dans l’Allegro maestoso) avec la mobilité lyrique de l’Andante et l’inspiration mouvante du Presto final, plein d’agitation et d’anxiété, ajoute Angela Hewitt. Dans la K. 330, il y a du rayonnement, de l’insouciance même, avec cet Andante cantabile qui, pour la pianiste, évoque le futur Mendelssohn, et une expressivité qui sait se faire gracieuse et même, tout à la fin, frôler l’humour. Ce premier disque de l’album, qui s’achève donc par les deux Fantaisies, est parcouru par des couleurs qui sont à la fois discrètes et intenses, vécues par Angela Hewitt avec un appel au partage et au rêve.

On aborde le second disque avec l’impatience de découvrir la fameuse K. 331 en la majeur, avec la célèbre Alla turca. Après la série de six variations, que la pianiste développe avec un sens très sûr de l’ornementation, la chaleur que développe son Fazioli creuse la redécouverte d’un manuscrit de cette sonate en 2014 à Budapest, (explications à la clef, dans la notice), avant cet Allegretto si attendu d’inspiration turque. Le choix assumé de ne pas jouer trop vite ce mouvement lui apporte son poids d’originalité. Quelle finesse est ici étalée dans le contrôle du dynamisme ! Avec la Sonate K. 332 en fa majeur, on peut apprécier d’autres commentaires interprétatifs d’Angela Hewitt, qui montre à quel point une notice intelligente peut se révéler un outil pédagogique des plus indispensables. On est emporté par l’élan imprimé au chant de l’Allegro, par le cantabile de l’Adagio et par l’équilibre de l’Allegro assai. On est définitivement conquis (mais on l’est depuis le début !) par la Sonate K. 333 en si bémol majeur, dont la pianiste affirme qu’elle a toujours été l’une de ses préférées. Elle la situe, selon des recherches récentes, à Linz ou à Vienne en novembre 1783, et lui accorde, en guise de bouquet final à son album, toute la poétique joyeuse qui traverse la presque totalité de l’Allegro, avant un Andante cantabile racé et un Allegretto grazioso final des plus brillants.

Ce sera sans doute à l’aune de la totalité de l’intégrale en chantier, dont on attend le troisième volet avec avidité, que l’on pourra mesurer la remarquable vision qu’Angela Hewitt a des sonates de Wolfgang Amadeus. Ce deuxième volume confirme en tout cas toutes les promesses du premier déjà paru, et place cette artiste au rang le plus convaincant des interprètes actuels de Mozart, dont elle distille la richesse avec un art et un goût très sûrs. 

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

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