Triomphe de la Huitième Symphonie de Mahler à Bozar
Ce dimanche 9 mars, l’Orchestre Symphonique de la Monnaie et le Belgian National Orchestra s’unissent pour interpréter une oeuvre magistrale du répertoire symphonique : la Huitième Symphonie en mi bémol majeur, dite « Symphonie des mille », de Gustav Mahler. Au niveau des chœurs, nous retrouvons les Chœurs de la Monnaie, l’Académie des chœurs de la Monnaie, le Chœur d'enfants et de jeunes de la Monnaie et le Vlaams Radio Koor. Les chœurs sont placés sous la direction d’Emmanuel Trenque, le chef des chœurs de la Monnaie. Les huit solistes requis pour cette œuvre sont les suivants : Manuela Uhl - Magna Peccatrix (soprano), Jacquelyn Wagner - Una Poenitentium (soprano), Ilse Eerens - Mater Gloriosa (soprano), Nora Gubisch - Mulier Samaritana (mezzo), Marvic Monreal - Maria Aegyptiaca (mezzo-soprano), Corby Welch - Doctor Marianus (ténor), Christopher Maltman - Pater Ecstaticus (baryton) et Gabor Bretz - Pater Profundus (baryton). Tout ce beau monde (pas loin de 300 personnes!) est placé sous la direction du directeur musical de la Monnaie, Alain Altinoglu.
La Huitième symphonie de Gustav Mahler, surnommée "Symphonie des mille", est une œuvre monumentale composée entre 1906 et 1907. Ce surnom, c’est l’imprésario Emil Gutmann qui l’a donné lors de la création en 1907 à Munich puisque pas moins de 1029 personnes étaient présentes sur scène pour interpréter cette symphonie. Cette œuvre, dont les éloges sont unanimes dès la première exécution, est célèbre pour son ampleur orchestrale et vocale. La symphonie est divisée en deux parties distinctes : la première, inspirée du Veni creator Spiritus (un hymne médiéval), et la seconde, basée sur la scène finale du poème Faust de Goethe. Cette œuvre incarne une recherche intense de spiritualité et d’extase, oscillant entre des moments de grande exaltation et d'introspection profonde. La Huitième est considérée comme l'une des plus impressionnantes et des plus complexes du répertoire symphonique.
Venons en à l’interprétation qui nous occupe aujourd’hui. La première partie, centrée autour du thème du Veni Creator Spiritus, un hymne médiéval chrétien, commence avec un vaste chœur. Cette première section peut être vue comme une prière ou une invocation à l’Esprit créateur, avec des passages de grande exaltation et des moments de pure lumière. L’immense chœur de pas moins de 165 chanteurs ainsi que sept des solistes jouent un rôle prépondérant dans cette partie de l’œuvre. Dès les premières notes de la symphonie, la puissance vocale du chœur fait trembler les murs de Bozar. L’orchestre accompagne et soutient à merveille les chanteurs en déployant de belles couleurs et nuances. Alain Altinoglu construit avec intelligence cette première section pour nous amener à un climax magistral : l’Accende. Cela nous offre un moment éblouissant et rempli d’espoir, notamment avec l’arrivée céleste des quatre trompettes et trois trombones résonnant depuis la loge royale. L’immersion est complète.
Après une brève interruption d’une minute, place à la deuxième et dernière partie de la symphonie. Cette deuxième section repose sur la restitution musicale de la scène finale du Faust de Goethe, un poème qui explore des thèmes de transcendance et d'immortalité. Elle est plus introspective et philosophique, avec des variations musicales qui mènent à un climax extatique. Dans cette deuxième section, l’orchestre récupère plus fréquemment la parole avec de longues phrases seul, à l’instar du début de cette section prenante par sa beauté. Au niveau des contrastes, les changements de dynamiques sont soudains. Ces mouvements abrupts nous font alterner entre grandeur et délicatesse. L’interprétation est remplie de moments de tension intense, qui mènent souvent à des dénouements spectaculaires. Le Chorus Mysticus à la fin de cette partie en est un excellent exemple puisqu’il s’agit d’un climax vertigineux, où l’orchestre et le chœur se rejoignent dans une exaltation spirituelle. Ce moment final, tout en grandeur et en majesté, donne une impression d’élévation mystique.
Dès la fin de la prestation, le public explose de joie et d’émerveillement après le moment suspendu qu’il vient de vivre. La standing ovation est immédiate et unanime. Cette Huitième Symphonie est une expérience exceptionnelle à vivre en live tellement les émotions et les frissons qu’elle transmet sont forts.
En conclusion, l’ensemble des artistes délivrent une prestation qui restera dans les annales de par la qualité de celle-ci mais aussi la rareté. En effet, ce n’est pas tous les jours que cette symphonie est donnée au vu de l’effectif monumental que cela demande. Les huit solistes se démarquent par leur belle présence vocale tout au long de l’exécution. L’orchestre livre lui aussi une grande et belle prestation avec des cordes très unies et homogènes, des bois harmonieux, des cuivres brillants et des percussions grandioses. Soulignons aussi le travail mené avec brio par les deux harpes, l’harmonium, le célesta, le piano, la mandoline et l’orgue. Une mention spéciale doit être attribuée à l’ensemble des chanteurs des différents chœurs. En effet, leur puissance, mais aussi leur douceur vocale, nous ont transportés dans chaque passage de l’œuvre, et ce grâce à la préparation minutieuse d’Emmanuel Trenque, le chef de cet immense chœur. Pour finir, cette symphonie ne tiendrait pas la route sans un chef d’orchestre pour maintenir ces près de 300 artistes ensemble. Alain Altinoglu se prête à cet exercice compliqué mais réalise une prestation de haut vol. Il fédère tout le monde autour de cette musique fantastique, propose une grande palette de nuances et de caractères, tout en respectant l’architecture de la symphonie. L’énergie insufflée nous fait vibrer de la première à la dernière note.
Bruxelles, Bozar, le 9 mars 2025
Thimothée Grandjean, Reporter de l’IMEP
Crédits photographiques : Vincent Callot