Triomphe de l’Estonian Festival Orchestra au festival de Pärnu 

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Le Festival musical de Pärnu se clôture avec deux concerts finaux. Le premier a lieu le jeudi 18 juillet et le second le vendredi 19 juillet. Paavo Järvi et l’Estonian Festival Orchestra sont accompagnés de deux prestigieux solistes. Les deux concerts commencent avec la nouvelle pièce de la compositrice estonienne Helena Tulve, Wand’ring Bark, et se clôturent avec la Troisième Symphonie Op. 56 dite « Écossaise » de Mendelssohn. Le premier soir, la violoncelliste américaine Alisa Weilerstein interprète le Concerto pour violoncelle en mi mineur Op. 85 d’Elgar. Le second soir, le pianiste américain Kirill Gerstein interprète quant à lui la Rhapsodie sur un Thème de Paganini, Op. 43 de Rachmaninov.

Le Festival musical de Pärnu met un point d’honneur à mettre l’Estonie et ses talents à l’honneur. C’est dans cette démarche que l'œuvre a été commandée par le festival à la compositrice estonienne Helena Tulve. Elle dédie sa composition à ses premiers interprètes, Paavo Järvi et l'Estonian Festival Orchestra. 

La pièce Wand’ring Bark est inspirée de la strophe centrale du 116ème sonnet de William Shakespeare. D’une durée approximative de 10 minutes, cette œuvre est mystérieuse et se compose d’une superposition de strates sonores plus ou moins importantes. De nombreux effets sont également utilisés et ce dans tous les pupitres de l’orchestre. L’orchestre réalise une excellente première version satisfaisant largement la compositrice présente dans la salle.

Lors de la première soirée, le public a le bonheur d’écouter la violoncelliste américaine Alisa Weilerstein dans le Concerto pour violoncelle en mi mineur Op. 85 d’Elgar. Composé à la fin de la Première Guerre mondiale (1918 - 1919), ce concerto n’était pas très populaire. Il faut attendre les années 60 et Jacqueline du Pré qui ajoute cette pièce à son répertoire pour qu’il gagne en notoriété. De nos jours, ce concerto est une œuvre phare du répertoire pour violoncelle. Alisa Weilerstein et l’EFO nous propose une version de grande qualité. La soliste fait preuve d’une intelligence musicale indéniable et communique à merveille avec l’orchestre. Ce dernier est mené avec précision et sensibilité par Paavo Järvi. Tous les musiciens sont pleinement investis. Tout au long des quatre mouvements, différentes atmosphères sont abordées. Les premiers accords sont joués avec gravité. Le lyrisme prend ensuite le pas dans ce premier mouvement. Dans le second mouvement la circulation du flux énergique est constante. Le troisième mouvement permet  quant à lui d’atteindre des nuances à peine audibles, ce qui crée un contraste encore plus grand quand l’orchestre se déploie pleinement. Pour finir, le dernier mouvement conclut avec brio ce concerto.

Le public acclame la prestation et en bis nous avons droit à la Sarabande de la Quatrième Suite pour violoncelle seul de J.S. Bach.

Lors de la deuxième soirée, c’est le pianiste américain Kirill Gerstein qui est à l’honneur avec la Rhapsodie sur un Thème de Paganini, Op. 43 de Rachmaninov. Cette pièce, considérée comme le « cinquième » concerto pour piano de Rachmaninov, est un cycle de 24 variations inspiré du dernier thème des célèbres 24 Caprices pour violon seul, Op. 1 de Niccolò Paganini. Kirill Gerstein excelle dans cette rhapsodie exigeante aussi bien d’un niveau musical que technique. Il donne même une petite touche jazzy à cette interprétation, ce qui n’est pas pour déplaire. L’orchestre prête une grande attention au soliste dans une pièce où la concentration et la précision sont de rigueur. Ils savent jouer avec l’échelle des nuances afin de ne pas couvrir le piano mais plutôt lui donner la matière suffisante au bon moment pour le soutenir et exacerber leur musicalité commune. Le trait d’union étant évidemment Paavo Järvi dont la clarté est nécessaire dans une pièce aussi complexe tant pour l’orchestre que le soliste. Le public livre la première standing ovation de la soirée pour cette prestation de haut niveau. Kirill Gerstein propose sa version du très connu Liebesleid de Fritz Kreisler (à l’origine pour violon) dans la retranscription de Rachmaninov.

Lors des deux soirées, la Troisième Symphonie Op. 56 dite « Écossaise » de Mendelssohn est au programme. Quelle interprétation spectaculaire nous a été livré deux fois. Tout y est de la musicalité, au choix plus que judicieux des tempi en passant par la cohésion unissant les musiciens entre eux et avec Paavo Järvi. Le premier mouvement, le plus long des quatre, commence avec une très belle introduction. La suite s’accélère pour finalement arriver au point culminant avec ce passage tempétueux joué avec fougue. Le deuxième mouvement, très animé, pousse les musiciens à donner le meilleur d’eux même surtout au vu du tempo que prend Paavo Järvi. Cela dit c’est un risque mesuré qui fonctionne très bien. Mention spéciale pour l’harmonie dont la virtuosité dans les traits rapides ne peut qu’être soulignée. Le troisième mouvement est d’une grande intensité et sensibilité tandis que le dernier mouvement allie une intensité certaine avec toute la première partie tandis que le final est magistral. Certes, il n’y a rien d’innovant en soi dans cette proposition si ce n’est le respect de ce que le compositeur écrit conjugué à un orchestre de haut niveau et un chef qui maîtrise à ce point la partition, n’est-ce pas cela la clé de la réussite d’une excellente interprétation ?

Le public en tout cas ne s’y trompe pas et applaudi à tout rompre. On ne compte plus les  ovations debout qu’il réserve aux artistes. Lors de la première soirée, les deux bis sont la Première Danse Hongroise de Johannes Brahms et la Deuxième Mélodie Populaire du compositeur norvégien Johan Svendsen. Lors de la dernière soirée le public a droit à la virevoltante pièce Vallflickans Dans de Hugo Alfvén et Spring Fly de Lepo Sumera. Cette pièce fait la part belle à la clarinette et au violon. En effet, Kilian Herold (clarinette) et Triin Ruuble (violon solo) ont plusieurs longs solos, interprétés avec beaucoup de talent .

L’Estonian Festival Orchestra a deux objectifs principaux : la qualité musicale de haut niveau ainsi que la cohésion et la joie d’être là et de se réunir pour faire de la musique. Dans les deux cas, le pari est plus que réussi. Le niveau de l’orchestre est très élevé et n’a rien à envier à d’autres phalanges orchestrales. De l’autre côté, ces musiciens estoniens et venant du monde sont devenus une grande famille heureuse de se rassembler en été pour ce festival. Cela se voit et se traduit par les nombreux sourires complices entre les musiciens et Paavo Järvi. Puis surtout cela se ressent dans la musique. Ils vont tous dans la même direction et donnent le meilleur d’eux même pour aboutir au meilleur résultat possible et ça, ça n’a pas de prix. N’oublions pas Paavo Järvi grâce à qui tous ces musiciens sont là et qui les unit avec la plus grande bienveillance et le plus grand professionnalisme. Ce festival est une grande réussite et continuera indubitablement de conquérir le monde musical dans les prochaines années.

Pärnu, Concert Hall, 18 et 19 juillet 2024

Thimothée Grandjean, Reporter de l'IMEP

Crédits photographiques : Pärnu Festival

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