Troisième volet des concertos de Mozart par Kristian Bezuidenhout : l’élégance et la clarté
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concertos n° 9 en mi bémol majeur K.271 « Jeunehomme » et n° 18 en si bémol majeur K. 456, pour pianoforte et orchestre. Kristian Bezuidenhout, pianoforte ; Freiburger Barockorchester, premier violon Gottfried von der Goltz. 2021. Notice en français, en anglais et en allemand. 63.10. Harmonia Mundi HMM902332.
Après une intégrale de haut vol des Sonates de Mozart pour Harmonia Mundi, patiemment élaborée entre 2009 et 2014 et réunie en coffret en 2021, le pianofortiste, claveciniste et pianiste australien d’origine sud-africaine Kristian Bezuidenhout (°1979) s’est lancé dans une intégrale des concertos pour piano. Avec patience et discernement, puisqu’un premier volume est paru chez le même éditeur en 2013 (concertos n° 17 K. 453 et n° 22 K. 482), avant un deuxième en 2016 (Concertos n° 11 à 13 K. 413 à 415). Voici le troisième volet, consacré à deux partitions dont des femmes sont à l’origine, à savoir les concertos n° 9 « Jeunehomme » K. 271 et n° 18 K. 456.
Une femme à l’origine du « Jeunehomme » ? Ainsi longtemps surnommé, ce neuvième concerto a en fait été écrit pour la fille aînée d’un ami de Mozart, le danseur Jean-Georges Noverre. La jeune femme s’appelait Louise-Victoire Jenamy (1749-1812). On comprend que la confusion se soit installée entre le patronyme de la demoiselle et le titre ajouté ; la correspondance entre le créateur et le père de Louise-Victoire confirme qu’elle en est bien la destinatrice, comme l’a montré la musicologie récente. Pour les deux albums déjà parus, Bezuidenhout avait opté pour une copie d’un pianoforte Walter & Sohn des environs de 1805, réalisée par MacNulty. C’est le même instrument que l’on retrouve ici. Il entraîne l’auditeur dans la finesse de cette œuvre à la fois élégante et tendre, pleine d’expressivité, de pudeur et de gaieté. La qualité de son toucher est constante, d’une fraîcheur et d’une vitalité virtuose qui se développe tout au long des trois mouvements où règnent la grâce, une confondante simplicité et un sens subtil de la couleur. On ne peut qu’être fasciné par cette façon d’enrober les notes, de les mettre en valeur, sans effet démonstratif mais avec une évidence que l’on salue. Si l’on est subjugué par un Andantino qui évite l’épanchement tout en soulignant les aspects douloureux qu’il contient, le Rondeau-Presto final est lancé dans un contexte d’inventivité fougueuse et d’enthousiasme communicatif. On se souviendra que l’an passé, Olga Pashchenko a entamé avec Il Gardellino une (probable ?) intégrale pour Alpha par ce même concerto, couplé avec le n° 17 K. 453 (notre article du 23 juin 2021). Elle avait elle aussi choisi un instrument de MacNulty, mais il s’agissait d’une copie d’après un J.A. Stein de 1788. Nous avouons ne pas pouvoir marquer une préférence pour l’une ou l’autre interprétation, ni pour le choix du pianoforte, tant les deux versions sont attachantes.
Chez Bezuidenhout, le choix d’un autre couplage se révèle judicieux : le Concerto n° 18 de 1784 est sans doute destiné à la pianiste aveugle Maria Theresa von Paradis (1759-1824), fille d’un conseiller de la Cour de l’Impératrice Marie-Thérèse et concertiste de talent. S’il apparaît de facture plus simple et plus classique que le neuvième, il n’en propose pas moins un bel équilibre entre le soliste et l’orchestre, dans un style noble qui montre que Mozart était conscient que la jeune femme, alors âgée de 25 ans, auquel il était destiné, devait séduire et émouvoir son public. L’auteur de la notice, Antoine Mignon, ne manque pas de rappeler que l’Andante un poco sostenuto, est le premier mouvement lent en mineur depuis le Jeunehomme/Jenamy de 1777. Bezuidenhout lui accorde la part de douceur teintée d’une clarté diffuse, qui lui sied si bien, avant de laisser la joie s’exprimer dans un Allegro vivace plein d’énergie lyrique.
Comme pour les deux volets déjà parus, le pianofortiste partage avec les Freiburger Barockorchester une complicité qui se manifeste par un superbe équilibre de sonorités, mais aussi par un partage permanent. C’est à nouveau Gottfried von der Goltz qui est le violon conducteur (il l’a été aussi pour un Mendelssohn commun) ; le partenariat fonctionne à merveille dans cette gravure de mai 2021. On attend la suite de cette intégrale en cours avec un vif plaisir.
Son : 9 Notice : 9 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix