Un conte initiatique dont les enfants sont les héros
Dans la série "Intergenerational Opera", Peter de Caluwe proposait une réelle aventure en programmant "Medulla", un album signé Björk motivé par les événements du 11 septembre 2001 et chanté par les voix idiomatiques d'enfants du monde entier.
Anat Spiegel, chanteuse et compositrice, a réalisé un nouvel arrangement pour choeurs d'enfants et de jeunes -ici, les jeunes filles de la Choraline âgées de 13 à 19 ans sous la direction de Benoît Giaux et les enfants de la Maîtrise de La Monnaie âgés de 10 à 14 ans sous la direction de Denis Meunier. En contraste de génération, quatre chanteurs d'opéra et une chanteuse de gorge, Jackie Janssens, tous âgés de plus de 55 ans : le ténor Kevin Walton, la soprano Roberta Alexander que l'on est heureux de retrouver, la mezzo Mireille Capelle et la basse Frode Olsen. Pour seuls instruments, quelques passages de musique électronique de "live" et une percussion (Simon Weetjens) relevant de la musique ethnique, le musicien Henry Vega, Bassem Akiki dirigeant le tout d'un étage supérieur avec écrans de télévision, seule manière d'être vu par les protagonistes répartis aux quatre angles d'un plateau entouré d'un tulle noir. Le synopsis : en figure centrale, le dieu de la nourriture que les ancêtres ont accumulée. Elle vient à manquer aux hommes. Que s'est-il passé ? Dieu a-t-il tout repris ? Qu'ont-ils fait de mal ? Les presque 90 minutes de spectacle se déroulent en offrandes au cours de cérémonials, jusqu'à sacrifier une des grands mères... mais rien n'y fait si ce ne sera finalement la fin de la soumission et la reprise de la liberté. La pièce explore l'infinité du chant et de ses jeux, sons de gorge raclée, sons nasaux, tremolos, chant diphonique, choeurs, beatbox, harmonies pop, percussion hiératique. Comme on le devine, Medulla relève à la fois du conte initiatique et de la tragédie grecque. Les enfants sont revêtus d'une tunique moderniste et d'un chapeau blanc; ils se déplacent de façon cérémonielle, pénétrés de l'esprit mythique du monde qu'ils incarnent en réponse à "un esprit ancestral passionné et sombre, un esprit qui survit", définition donnée par Björk à Medulla. Un spectacle qui, s'il peut dérouter dans un premier temps, arrive assez vite à nous captiver; il nous pénètre et survit par les pseudo certitudes qu'il interroge. Outre la présence et la qualité des solistes, saluons la remarquable prestation des enfants dont la concentration n'a, à aucun moment, été prise en défaut; saluons également leur impressionnante plasticité vocale.
Bernadette Beyne
La Monnaie, Salle Malibran, le 3 février 2015 (générale)