Un Dowland chaleureux mais peu diversifié ?

par

John Dowland (1563-1626) : [Complete] Lachrimae, or Seaven Teares. Musicall Humors. Julien Léonard, Nicholas Milne, Myriam Rignol, Lucile Boulanger, Josh Cheatham, Thomas Dunford, viole de gambe. Thomas Dunford, luth. Livret en français, anglais, allemand. Octobre 2018. TT 70’18 . Alpha 944

La sympathie est a priori acquise à ces sessions captées en 2018 en l’église de Condat-sur-Trincou, qui ont dû coquettement patienter presque cinq années avant leur publication. Hélas, on quitte cette intégrale du recueil de 1604 avec l’impression d’un portrait paradoxalement réducteur de ce compositeur qui ne saurait se résumer au « Dowland semper dolens ». Même en abordant l'intégralité des vingt-et-une pièces, et non seulement les sept célèbres Lachrimae, ce témoignage ne s'inscrit pas dans une discographie vierge, où domine le radieux souvenir de Jordi Savall (Astrée, mai 1987, magnifié dans la réédition en SACD chez Alia Vox) ou la contribution plus récente de Phantasm (Linn), à sa parution vantée en nos colonnes par Bernard Postiau.

Au gré d'effectifs renouvelés, Musicall Humors était actif depuis une petite décennie lors de l'enregistrement, ce qui garantit la connivence du dialogue. L'équipe nous convainc certes par son homogénéité (les inventifs entrelacs de Thomas Dunford s’intègrent à la trame en toute fluidité), sa patine lustrée, ses couleurs généreuses et chaleureuses. Cette recette mordore la mélancolie des Seaven Teares mais l'eutrophise aussi dans un hédonisme plantureux qui, malgré l'épithète de l'ensemble, semble homogénéiser en une même humeur le parcours évolutif de ces plaintes censées éclore depuis les larmes anciennes jusqu'aux larmes vraies et sincères. Comme si l'interprétation, en panne d’oxygène et de curiosité, restait figée de respect devant la réputation bilieuse de ces partitions dont le manuscrit invite pourtant à la convivialité du discours instrumental, ainsi que le rappelle le livret.

Un constat d'autant plus surprenant quand cette même notice nous apprend que la partie de dessus a été distribuée aux différents violistes selon les pièces, ce qui aurait pu éveiller une certaine individualisation de leur approche. Dans ce contexte, les pages animées (dont neuf apparentées au genre de la Gaillarde) sont celles dont l'exécution apparaît la plus stimulante, contrastant avec cette restitution des Lachrimae qui les entrelace platement. Malgré la satisfaction d'un regard cohérent, le plaisir d'une sonorité séductrice qui fait son miel des ors harmoniques, flattée par les micros d’Aline Blondiau, et très recommandables sous cet aspect : cette onction suffit-elle à déployer une vision fidèle à la riche palette émotionnelle de ces partitions ?

Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9,5 – Interprétation : 7,5

Christophe Steyne

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