Un opéra quasi inconnu de Porpora : Ivresse, vertige et perplexité
Nicola Antonio Porpora (1686 ou 87-1768) : Germanico in Germania. Max Emanuel CENCIC, Germanico ; Mary-Ellen NESI, Arminio ; Dilyara IDRISOVA, Rosmonda ; Hasnaa BENNANI, Cecina ; Julia LEZHNEVA, Ersinda ; Juan SANCHO, Segeste ; CAPELLA CRACOVIENSIS : Jan Tomasz ADAMUS. 2017-DDD-- 218’18- présentation en français, anglais allemand- livret en italien et anglais-chanté en italien- 3 CD DECCA 483 1523.
Ivresse, vertige, perplexité, voilà ce qu’offre sous toutes ses formes tant musicales, qu’historiques ou formelles un opéra quasi inconnu, Germanico in Germania créé à Rome le 11 février 1732 . Nicola Porpora s’y révèle non seulement maître de cette vocalité belcantiste qu’il enseignera aux plus grands chanteurs de son temps à commencer par Farinelli, Cafarelli et même le brillant librettiste Metastasio mais aussi d’une prodigalité inouïe qui a sans doute rendue sa postérité un peu confuse.
Il est vrai qu’entre sa naissance à Naples (1687) où il reviendra finir ses jours dans le dénuement juste avant ses quatre-vingt ans, il aura parcouru toute l’Europe.
Félicité par Haendel qui assiste à son premier opéra, Berenice, à Rome en 1710, il en deviendra le rival à Londres. Auteur de plus de 50 opéras, de 40 oratorios et pièces de musique instrumentale, on le trouve à l’Ospitale degli Incurabili de Venise, primo Maestro au Conservatoire Santa Maria di Loreto à Naples, puis à Londres, à Venise encore, avant d’être invité auprès de la Princesse Maria-Antonia à Dresden. Il s’établit alors à Vienne (1752) où le jeune Haydn loue une soupente dans la maison même où habite Metastasio, ce qui lui permet d’être présenté à Porpora dont il devient l’élève et... le valet accompagnateur ; situation romanesque reprise par Georges Sand dans son triptyque Consuelo.
Germanico in Germania développe les multiples rebondissements de la tragique confrontation entre Arminio, prince de Germanie, et Germanicus à la tête de l’armée romaine -dont le nom est ici curieusement italianisé. Tandis que son beau-père Segeste a rallié Rome, que sa femme Rosmonda est déchirée entre son amour filial et conjugal, Arminio seul résiste, est capturé, condamné. Sa dignité et son courage touchent le chef romain qui lui accorde sa grâce. Le héros scelle alors l’ «union du Rhin et du Tibre» et tous concluent en louant le triomphe de la douceur sur l’amertume des épreuves traversées. D’où, au premier acte, de longs récitatifs rythmés par des arias di tempesta ou adoucis de tendres airs (Al sole i lumi, Splende per mille amanti) où Julia Lezhneva et Hasnaa Bennani font merveille. La véhémence trop systématique d’Arminio (la mezzo Mary-Ellen Nesi) dans ses récitatifs engendre une certaine lassitude. En revanche, lorsqu’elle anticipe avec brio les fureurs de la Reine de la Nuit (A lei, che il mondo adora) elle subjugue. De son côté, Emmanuel Cencic (Germanico) s’impose par sa constante musicalité.
Le deuxième acte se prête à un éventail plus varié d’émotions et la scène II offre un exemple admirable de la transition du récitatif au chant : moment imperceptible où la voix hésite entre parole et chant, entre-deux d’où elle s’élance, prend le vent puis se libère des lois de la gravité pour exulter et jubiler en vocalises. C’est là le domaine de prédilection de la soprano Julia Lezhneva (vertigineux Veder vicino). Se développent également maints airs splendides confiés aux deux héros (Nasce de valle impura vapor che in alto accende, Germanico- Cencic) qui évoquent Haendel et un Parto, ti lascio, o cara (Arminio-Mary-Ellen Nesi ) dont se souviendra l’auteur de La Clémence de Titus. La fusion vocale du Terzetto annonce le rapprochement Germanie-Rome du dénouement. Qui se réalise précisément au même moment dans cette Europe culturelle du XVIIIe siècle qui n’était pas encore celle des nations hermétiques les unes aux autres. Dans le troisième acte, d’une couleur plus sombre, on relève notamment un duo Arminio- Rosmonda (Se viver non poss’io) très monteverdien. Une telle prodigalité ne va pas sans touffeur ni monotonie. Elle reflète aussi une perception de l’espace-temps qui ne nous est plus familière. Mais son exotisme, son étrangeté, son orchestration parfois fruste ou naïve, une facilité berçante dans la mélodie touchent l’auditeur. Le choix d’instruments d’époque accentue parfois une certaine crudité au détriment des nuances et de l’épaisseur des textures. Il reste alors le choix de se laisser emporter par ce flux musical parfois inégal ou bien de s’attarder sur les plus beaux airs : tout est permis en ce XVIIIe siècle où l’on propose et l’on n’impose jamais.
Bénédicte Palaux Simonnet
Son 9 – Livret 9 – Répertoire 9 – Interprétation 9