Un peu de tourisme

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Découvrir une ville et ses forces musicales, quoi de plus excitant ? Mais à y revenir régulièrement, on pourrait craindre que le charme n’opère plus. Sauf si la curiosité n’est pas considérée comme un vilain défaut.

Me voici de retour à Iași où, pendant une semaine, je sers de guide au chœur et à l’orchestre de la Philharmonie d’État dans leur exploration du répertoire français. Fauré cette fois, pour célébrer le centenaire de sa mort. Iași est la seconde ville de Roumanie, une population comparable à celle de Montpellier. Elle fut pendant trois siècles la capitale du royaume de Moldavie et, pendant un bref interlude au cours de la Première Guerre mondiale, capitale de la Roumanie. On y sent cette fierté de la population. On y sent aussi ce vent de jeunesse propre aux grandes villes universitaires. La réputation de sa faculté de médecine n’est plus à faire : il suffit de tendre l’oreille dans les rues pour capter des conversations en français. Plus d’un millier d’étudiants français y sont formés, enseignement en français garanti. Grâce à des fonds européens, les monuments et églises ont connu une nouvelle jeunesse, même si Iași a été coiffée sur le fil par Timișoara pour devenir capitale européenne de la culture en 2021. 

Côté musique, rien à envier aux métropoles d’Europe centrale : un opéra hébergé dans le théâtre national construit en 1893 (en attendant une nouvelle salle… promise),  la Philharmonie dont les bases furent jetées en 1893, devenue Philharmonie d’État en 1942, sans oublier l’Université de musique d’où sortent cette pépinière d’instrumentistes à cordes que l’on retrouve dans les orchestres du monde entier et dont les diplômes sont alignés sur ceux de nos conservatoires nationaux. La Philharmonie, c’est un orchestre symphonique, un chœur professionnel d’une soixantaine de membres et un quatuor à cordes en résidence (Quatuor Ad libitum). Leur maison est un lieu historique, les anciens bâtiments de la Congrégation Notre-Dame de Sion, où les religieuses françaises étaient établies depuis 1861. Elles géraient un orphelinat, un dispensaire, un pensionnat et un établissement d’enseignement très recherchés, autant d’activités rayées de la carte en 1948 par le régime communiste qui nationalisa le bâtiment et obligea les religieuses à entrer dans la clandestinité. Après la chute de Ceaucescu en 1989, l’évêché catholique obtint que la congrégation retrouve son droit de propriété, tout en laissant l’usage des lieux à la Philharmonie. Mais une rénovation et une mise aux normes s’imposaient, que personne ne voulait (ou ne pouvait) prendre en charge, ni l’Église catholique, propriétaire des murs, ni l’État dont dépend la Philharmonie, ni la Ville. Arriva ce qui devait arriver, la commission de sécurité décréta en 2013 une interdiction d’accueillir du public, tout en tolérant que les répétitions continuent à se dérouler in situ. Mais les concerts devaient se tenir ailleurs, ailleurs étant la Maison de la culture des étudiants (un haut lieu de la liberté de pensée d’antan où les autorités distillaient, sous couvert de divertissement culturel, la pensée officielle à une jeunesse pas toujours naïve). 

Et maintenant ? Pelleteuses, pioches et marteaux piqueurs sont enfin à l’ouvrage, une véritable course contre la montre gagnée par le directeur général, Bujor Prelipcean (ancien premier violon du Quatuor Voces), qui savait que les travaux devaient impérativement commencer avant les prochaines élections. Car même avec un budget voté (en deçà de la réalité, cela va de soi), même avec un marché attribué, on pouvait toujours craindre une remise en cause « sortie des urnes ». Les exemples ne manquent pas dans le monde entier. De telles pratiques existaient-elles déjà lorsque Gustave Eiffel construisit à Iași le principal palace au balcon duquel Ceaucescu allait plus tard haranguer les foules ? La ville lui doit aussi un pont et une halle aujourd’hui disparue. 

Mais revenons à Fauré. Devant le gigantesque Palais de la Culture néogothique bâti au début du XXe siècle sur les ruines de l’ancienne cour de Moldavie, se dresse la statue équestre de Ștefan cel Mare (Étienne III le grand), voïvode de la fin du XVIe siècle qui joua un rôle essentiel dans l’histoire du pays. Aussi impressionnant que Louis XIV dans la cour du château de Versailles. Le sculpteur aurait-il eu des arrières-pensées ? Pardon, j’oubliais de le citer, il s’agit d’Emmanuel Frémiet, le beau-père de Fauré. 

Alain Pâris

Crédits photographiques : DR

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