Un salon français à Dijon
A moins de trente ans, le violoncelle de Yan Levionnois a glané toutes les récompenses, avec un extraordinaire palmarès. Le discret chef du pupitre des Dissonances se confond avec le brillant soliste que nous écoutons ce soir. Au piano, Guillaume Bellom, le talentueux bisontin qui a pris son envol. Chacun conduit, séparément, une carrière des plus prometteuses. Après avoir enregistré un récital de sonates romantiques (Schubert, Mendelssohn, Strauss) justement salué par la critique en 2017, ils nous offrent maintenant un récital de sonates françaises. Entre celles, bien connues, de Debussy et de Poulenc, nous découvrons l’exquise Pièce op.39 de Chausson et la trop rare Première Sonate de Fauré.
La seule -et minime- réserve de la soirée sera l’attaque des trois premières mesures de Debussy, notées forte, d’une énergie décuplée par le grand Steinway, qui se pare alors de couleurs métalliques incongrues. La suite sera un pur ravissement. La liberté des échanges, les couleurs, la conduite et la retenue du prologue, la fantaisie, le mystère et l’humour de la sérénade, enchaînée au finale endiablé sont autant de bonheurs. La plénitude, la rondeur du violoncelle comme la plus large palette expressive du piano traduisent à merveille la poésie douce-amère, la fantaisie et l’élégance sans la moindre afféterie, avec une saine vigueur. Pourquoi la Pièce opus 39 de Chausson n’est-elle pas davantage connue ? Son écriture recherchée, son caractère élégiaque, le charme évanescent s’animant pour confier le chant au violoncelle jusqu’à l’exaltation et revenir, apaisé, au propos initial, tout concourt à faire de cette pièce une œuvre majeure. Elle est ici servie par nos deux complices avec l’apparente insouciance, le romantisme sans effusion ajoutée, la délicatesse qui caractérisent l’art de Chausson.
De Fauré, on joue surtout la Seconde Sonate, de peu postérieure à celle en ré mineur, ce qui nous paraît profondément injuste. Avant de retrouver une écriture plus familière de l’art du compositeur, l’allegro initial, véhément, très rythmé, vigoureux comme éloquent, retient l’attention. L’andante méditatif, d’une simplicité et d’un naturel qui cachent une écriture rythmique et harmonique aboutie, nous émeut par son lyrisme contenu, d’une suprême élégance. Ample et varié est le finale, fluide, où les deux instruments s’animent pour retrouver le lyrisme serein. Il est difficile d’imaginer duo plus équilibré, dont l’entente soit à ce point exemplaire, avec une maîtrise musicale servie par une technique transcendante.
Peu prisée par les puristes et assez rare au concert, la sonate de Poulenc nous réjouit plus que jamais. La désinvolture, la jovialité, la tendresse, le cocasse et la légèreté y font bon ménage. On en retiendra particulièrement le "ballabile", gai, bondissant, léger, juvénile. Malgré une certaine grandiloquence, le largo introductif du finale nous émeut, auquel succèderont des séquences volubiles, déboutonnées, tendres (« sans ralentir »), enfin enjouées, comme seul Poulenc sait les écrire, avec le pied-de-nez conclusif qui dément la gravité initiale du mouvement.
Nous tenons là deux interprètes qui se hissent au plus haut niveau. On cherche ses mots pour qualifier le jeu de chacun d'eux, tant on en a oublié les individualités pour un ensemble dont la perfection est aboutie. Aussi, formulons le voeu qu’un enregistrement soit réalisé, permettant de faire partager au plus grand nombre le bonheur d’un public conquis.
Dijon, Opéra, le 23 novembre 2019
Crédits photographique : Yvan Beuvard / DR
Yvan Beuvart