Un septième album pour Pancho Vladigerov : sa musique de scène

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Pancho Vladigerov (1899-1978) : Suite scandinave, d’après la musique de scène pour « Le Songe » d’August Strindberg, op. 13 ; Trois chansons de « La Nuit des rois » de Shakespeare, op. 26 ; Suite de la musique de scène pour « Bonheur » d’Orlin Vassilev, op. 50 ; Quatre chansons de la musique de scène pour « Le cercle de craie » de Klabund op. 19 ; Deux pages orchestrales pour « César et Cléopâtre » de Bernard Shaw ; La légende du lac, musique de ballet op. 40. 1970-1975. Rumjana Valcheva Evrova, soprano ; Pavel Gerdjikov, basse ; Chœurs de la Radio nationale bulgare ; Orchestre symphonique de la Radio nationale bulgare, direction : Alexander Vladigerov. 162'45''. 2 CD CD Capriccio C8067.

A mesure que le label Capriccio réédite la série de disques enregistrés pour Balkanton dans les années 1970, la production du compositeur bulgare Pancho Vladigerov révèle toute sa richesse. Nous avons recensé à plusieurs reprises des volumes de cette anthologie : œuvres orchestrales (trois albums), concertos pour piano, partitions pour cordes, pages pour chant avec orchestre. Pour cette septième parution, deux CD de musique de scène viennent s’ajouter à l’ensemble, toujours dirigé par le fils du compositeur, Alexander Vladigerov (1933-1993).

Après avoir étudié à Sofia, puis à Berlin avec Paul Juon et le pianiste Karl Heinrich Barth, un élève de Hans von Bülow, Pancho Vladigerov a l’opportunité de travailler comme compositeur et pianiste avec Max Reinhardt (1873-1943) au Deutscher Theater de Berlin, de 1920 à 1932, avant de retourner vivre dans la capitale bulgare. Pendant cette faste période théâtrale, il participe aux productions du prestigieux metteur en scène. C’est le cas pour la pièce de Strindberg (1849-1912) Le Songe, créée à Stockholm en 1907, puis, de façon posthume, à Berlin en 1916, où elle rencontre un vif succès. Monté en 1926 par Reinhardt, ce drame à portée philosophique met en scène une déesse venue sur terre pour comprendre les humains ; face aux souffrances qu’elle découvre, elle finit par les prendre en pitié. La partition est alimentée notamment, sur le plan musical, par une procession, un intermezzo, une musique de ballet et une danse suédoise, dans une orchestration postromantique pleine de transparence, de noblesse et d’élégance. Vladigerov en tirera la suite d’une demi-heure, ici programmée. 

Cinq ans plus tard, c’est Shakespeare qui est sollicité, avec sa Nuit des rois, dans une production présentée à Vienne où Max Reinhardt est aussi directeur du Theater in der Josefstadt. On en découvre trois chansons colorées, dont un air ironique et une romance de type slave que se partagent la soprano Rumjana Valcheva Evrova, voix claire et distinguée, et Pavel Gerdjikov (1938-2023), basse très réputée en Bulgarie qui connut une brillante carrière internationale. Les voix se partagent encore quatre autres chansons, deux pour chacun.e, tirées de la pièce Le Cercle de craie de Klabund, pseudonyme d’Alfred Henschke (1890-1928), qui s’est inspiré d’un récit chinois du XIVe siècle pour en faire un drame sur la justice. Pavel Gerdjikov fait la démonstration de son talent dans ces moments d’exotisme délicat. 

Retour en arrière vers une composition de jeunesse de Vladigerov qui, à 21 ans, travaille pour la première fois avec Reinhardt dans le cadre de la pièce César et Cléopâtre de Bernard Shaw (1856-1950), pour laquelle il écrit une musique de scène. Trois décennies plus tard, il en tire deux superbes pages symphoniques, un Nocturne dans le désert égyptien et une radieuse Romance. Le panorama se complète par une suite plus tardive pour la pièce Bonheur d’Orlin Vassilev (1904-1977), un dramaturge tourné vers la vie quotidienne de la Bulgarie de 1954. Cette page de maturité permet à Vladigerov, toujours dans un style postromantique, d’écrire des pages contrastées, à la fois lyriques et dramatiques et à forte composante émotionnelle, deux d’entre elles étant agrémentées par des chœurs enflammés. 

Le ballet La légende du lac (1946, première en 1962 à Sofia) est une histoire bâtie sur une légende qui mélange intrigue autour d’un mariage et tableaux guerriers. L’ampleur des deux suites (près de 75 minutes) réunies par Vladigerov en 1948, puis en 1953, se présente comme une synthèse de l’art du compositeur : les épisodes dramatiques et épiques, mêlés aux accents lyriques ou festifs, aux mélodies délicates et sentimentales, à la solennité ou à l’exubérance, démontrent un art consommé de l’orchestration, toujours originale et haute en couleurs. Tout au long de ce parcours, aussi attrayant que les autres albums de cette série Capriccio, Alexander Vladigerov met en valeur les divers aspects créatifs de l’œuvre de son père, suivi par une phalange bulgare en pleine démarche de ferveur communicative.

Le travail de restauration des gravures d’origine, qui ont cinquante ans d’âge, a été effectué avec le plus grand soin par un studio viennois. On constate néanmoins un léger phénomène de saturation dans les deux interventions chorales. La déjà copieuse anthologie Vladigerov compte désormais seize disques ; elle salue dignement la mémoire d’un compositeur de talent, toujours vénéré dans son pays, où sa demeure est devenue un musée. Un utile travail de mémoire !   

 Son : 8  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

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