Une réjouissance avec deux concertos pour deux pianos
Le 3 octobre dernier, le Rungis Piano-Piano Festival a présenté au Théâtre des Champs-Elysées un concert intitulé « Grands concertos romantiques ». Au programme, deux œuvres méconnues : les concertos pour deux pianos de Mendelssohn (n°2 en la bémol majeur MWV 06) et de Max Bruch (en la bémol mineur op. 88a). Le Duo Reflet, formé par Natsu Aoki et Kazune Mori, a ouvert la soirée avant de laisser place à Ludmila Berlinskaia et Arthur Ancelle, fondateurs du festival et de l’Académie Piano-Piano, accompagnés par l’Orchestre national de Lille sous la direction de Dmitri Liss.
Dès notre entrée dans la salle, nos regards sont attirés par les nouvelles conques acoustiques, dont les rayures verticales évoquent celles des colonnes qui encadrent la scène. Leur élégance classique aux couleurs crème et doré illumine la scène, mettant en valeur la forme et le noir éclatant des pianos Shigeru Kawai.

Le concert débute avec le concerto composé par un Mendelssohn de 14 ans, une œuvre juvénile mais d’une écriture incroyablement maîtrisée, avec une virtuosité clairement mise en avant. Autrefois interprété par le compositeur lui-même avec son ami Moscheles, mais surtout avec sa sœur Fanny, deux des plus grands pianistes de l’époque, ce concerto est ce soir joué par Natsu Aoki et Kazune Mori, lauréats de l’Académie Piano-Piano. Bien que leurs personnalités semblent contrastées -l’une énergique et extraverti, l’autre délicate et raffinée-, leur complémentarité est indéniable, créant une dynamique harmonieuse. Depuis leurs débuts en duo en 2017 au Japon, ils n’ont cessé de perfectionner cette discipline exigeante. Dans le concerto de Mendelssohn, leur écoute attentive est palpable tout au long de l’œuvre, ajustant finement leur jeu, notamment lorsqu’il y a de légers décalages avec l’orchestre, rapidement « casés ».
La seconde partie du concert est dédiée au rare Concerto de Max Bruch, un compositeur surtout connu pour son concerto pour violon. Dans sa présentation, Clément Rochefort nous raconte l’histoire fascinante de cette partition de 1912, tombée dans l’oubli avant d'être redécouverte en… 1971 ! Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle redonnent à cette œuvre ses lettres de noblesse, en dévoilant toute la richesse de la partition, notamment dans la fugue, empreinte d’un romantisme à la Brahms. Ces deux maîtres du piano -ils dirigent une classe dédiée au duo de piano à l’École normale de Musique de Paris, une première mondiale- peignent des tableaux sonores avec un jeu à la fois majestueux et solennel, tendre et intime. Bien que l’œuvre respecte une forme classique en quatre mouvements, elle s’affranchit des conventions, notamment avec l’importance accordée aux sections lentes dans chaque mouvement. Le duo Berlinskaïa-Ancelle fait chanter le piano dans les moments de calme, nous entraînant dans une rêverie proche de Schumann ou Rachmaninov comme dans le deuxième mouvement. Ils savent également se montrer imposants, comme lors de l’entrée vigoureuse du premier mouvement. Leur interprétation allie une énergie explosive et une douceur confidentielle, en parfaite harmonie avec l'Orchestre national de Lille. Après une ouverture de saison remarquée, cette phalange des Hauts-de-France s’est engagée dans une aventure audacieuse en explorant un répertoire aussi rare.
Le concert se conclut sur une note légère et joyeuse avec A Scott Joplin Rag Rhapsody pour deux pianos à huit mains de Kevin Olson (né en 1970), dont les sonorités pétillantes et pleines d’esprit ont enchanté l’audience.
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 3 octobre 2024
Victoria Okada
Crédits photographiques : Studio nathsam